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publique, avec cet instinct que ce n’est pas en se consultant soi-même qu’elle la peut trouver, réagit contre cette confiance en sa propre infaillibilité, qui est notre défaut naturel à tous. Guizot et son parti n’avaient pas les mêmes raisons de se défier d’eux-mêmes, et ils étaient trop entraînés par leur doctrine à se dire : « Nous ne sommes pas une aristocratie ; nous sommes la classe moyenne, nous ne pouvons guère nous tromper. » C’est là l’erreur capitale de Guizot considéré comme homme politique.

À cette erreur ou à cette insuffisante notion des choses, tout le menait naturellement : sa certitude d’abord, sa pleine et vigoureuse confiance en soi : il a commencé par l’assurance, il a continué par la certitude et il a fini par l’infaillibilité ; ses idées ensuite, autant que son caractère, puisque ses idées le conduisaient à attribuer la quasi-infaillibilité au juste milieu, qu’il était, et à la classe moyenne, qu’il croyait être. Or la certitude exagérée est cause d’erreur, en politique particulièrement, moins que l’indécision, mais presque autant. Surtout elle donne à la raison l’apparence d’avoir tort. Elle lui donne de la vigueur et lui ôte de l’autorité. Guizot au gouvernement avait des attitudes de combat plus que de gouvernement. Il avait l’air moins d’un premier ministre que d’un homme qui faisait de l’opposition à l’opposition. On le suivait à l’assaut plus qu’on ne le soutenait contre les assaillans. Le gouvernement parlementaire en était véritablement un peu faussé, sinon dans son esprit général, du moins en sa forme, en son aspect et en son allure, choses qui ont encore leur importance.

A la vérité, cet homme de combat a admirablement discipliné son armée et l’a tenue ferme en sa main pendant huit ans avec une admirable suite et dans un ordre excellent. Cela se comprend fort bien. À ces hommes du centre, qui d’ordinaire sont hommes du centre parce qu’ils sont indécis, il apportait précisément ce qui leur manquait : la vigueur du caractère et du tempérament. Il se trouvait être l’homme, si rare, qui unit l’énergie du caractère à la modération des idées. Il était le tribun de la modération ; il devait être le dictateur du centre. Il le fut. On le suivit, on se serra autour de lui avec admiration, avec dévoûment et avec constance. Il se mêlait à l’acquiescement qu’on lui accordait une manière de reconnaissance ; on savait gré d’être modéré à un homme qui avait une complexion à ne l’être pas ; on le remerciait secrètement de mettre de si belles facultés d’assaillant au service de la résistance ; on était étonné et charmé d’avoir pour chef du centre un si beau chef d’opposition.

Quant à la tâche qu’il s’était assignée, il ne l’a pas remplie, ce qui est assez commun, mais il ne l’a point désertée, et, sauf sa