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contraire c’est seulement comme membre d’une société organisée libéralement que vous êtes libre. Les sociétés, en effet, commencent par l’anarchie, qui est si peu la liberté qu’elle en est le contraire ; continuent par le despotisme monarchique ou par le despotisme étroitement aristocratique ; finissent, après un long temps, par s’organiser en associations où le pouvoir est extrêmement divisé, et où, par suite, l’homme, le particulier, commence à respirer un peu ; mais il n’a respiré qu’à partir du moment où la société s’est organisée ainsi, et c’est donc comme membre de cette société ainsi faite, à ce titre seul, et pour cette seule cause qu’il est libre.

C’est une illusion assez plaisante que celle de la liberté personnelle considérée comme un droit primitif, « imprescriptible, » longtemps prescrit, et enfin reconquis, comme un droit sur lequel se fonde, doit se fonder la société civilisée. C’est l’inverse qui est vrai. C’est la société civilisée qui fonde la liberté personnelle, qui la kit plutôt, sans dessein, et sans s’en apercevoir, et crée ainsi une chose qui n’était pas un droit, mais qui le devient. Vous êtes donc libre par la société libre, par le jeu libre et facile de ses institutions, par elle et en elle, seulement par elle et seulement en elle, et plus ou moins selon qu’elle-même vit d’une vie plus aisée, plus pleine, plus intelligemment ordonnée et plus savamment harmonieuse. Il s’ensuit, dans la pratique, que la liberté n’est pas un droit, une propriété personnelle inviolable, une sorte d’idole devant laquelle l’État s’arrête avec une stupeur superstitieuse, un asile, un sacrum, je ne sais quel bidental consacré par la foudre ; c’est un moyen de gouvernement, sans autre mystère, c’est un excellent, honnête, généreux, habile et utile moyen de gouvernement.

Les sociétés, en durant, se compliquent. Leur administration devient une œuvre infiniment vaste, complexe et d’un énorme détail. Elle se compose de « grandes machines » aux rouages multipliés. Dans ces grandes machines faire pénétrer une certaine quantité, une grande quantité d’initiative individuelle, y amener, y faire entrer le citoyen avec son expérience propre, son savoir personnel, ses bonnes intentions, sa conscience, son inexpérience même, qui n’est pas un mauvais correctif de l’esprit de tradition et de routine ; c’est-à-dire associer de plus en plus l’individu au maniement de la société, par suite à l’esprit social, lui assurer une participation de plus en plus grande au gouvernement, voilà la liberté, la vraie liberté pour le citoyen ; et, pour l’État, voilà un précieux secours, une allégeance et un progrès.

Remarquez donc que le gouvernement représentatif, ou plutôt le gouvernement parlementaire, ou plutôt le gouvernement sollicitant l’assistance d’un parlement, n’est pas autre chose qu’un premier pas dans cette voie. Le système parlementaire, c’est le