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générale, et de ces concessions des liens, des attaches, des points de contact au moins, à unir et souder le tout.

Il demande au philosophe de croire un peu au surnaturel, de l’admettre au moins comme ne répugnant pas nécessairement à la raison. Qu’on n’en lasse point abus, soit, et c’est de mettre le surnaturel partout et d’en être pour ainsi dire étourdi (comme de Bonald) qui l’a discrédité parmi les hommes. Qu’on ne « l’introduise pas si souvent à tort dans notre monde et dans notre histoire ; » mais qu’on le laisse dans la Création. Voilà le minimum. Un acte surnaturel au commencement des choses, supposant une puissance surnaturelle au-dessus des choses, voilà la concession demandée au philosophe. Elle ne doit pas lui répugner ; car le surnaturel, remarquez-le, est mal nommé et son nom lui fait tort. Le surnaturel est essentiellement naturel à l’homme. Il y croit toujours. C’est un besoin et une nécessité de sa nature. Il est aussi instinctif en l’homme que la confiance dans la perception extérieure. Et que le besoin senti par nous ne démontre point la réalité de son objet, que le caractère instinctif, naturel et universel d’une croyance ne prouve que la nécessité d’une illusion ; que, de ce que nous voyons le monde autour de nous, il ne s’ensuive point qu’il existe, et que, tout de même, de ce que nous croyons invinciblement au surnaturel, il ne s’ensuive point que le surnaturel soit, on en tombe d’accord ; mais les choses au moins sont égales ; la croyance de l’homme au surnaturel ne démontre pas plus la réalité du surnaturel que la perception extérieure ne démontre la réalité des choses, mais ni plus ni moins ; et, de même qu’on reconnaît qu’on n’arrachera jamais à l’homme sa confiance au témoignage de ses yeux, nous demandons que l’on confesse que rien ne dépouillera l’homme de ses penchans mystiques, non moins naturels, malgré leur nom, parce qu’ils sont non moins universels, traditionnels, impérieux et nécessaires ; nous demandons qu’on accepte le surnaturel comme condition de la vie humaine, au même titre que la conviction aussi profonde, aussi perpétuelle, tout aussi injustifiable par démonstration et rationnellement illégitime, qui nous fait dire qu’il y a de la terre, des rochers, des arbres et des fleurs ; nous demandons que le surnaturel soit tenu pour aussi naturel que toutes les choses que nous ne pouvons ni prouver, ni ne pas croire.

Cette concession obtenue, ou tenue pour faite, Guizot a cause gagnée, puisqu’il se contente, non pour lui, mais pour tout le monde, d’un minimum de religion, et dès lors il s’adresse tour à tour aux catholiques et aux protestans pour leur demander, non pas une entente, mais une sympathie réciproque et une marche parallèle vers un but commun, qui est le maintien d’une certaine quantité d’esprit religieux dans le monde. — C’est ici la grande affaire