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premiers enseignemens que nous donne notre vie de jeunesse. Guizot n’est pas, comme d’autres et comme on pourrait croire qu’il est, un professeur arrivé tard à la vie politique, un théoricien placé, à quarante ans, en face des choses à manier et à conduire. Il a été tout d’abord et un homme d’études et un homme d’action en même temps. S’il est professeur d’histoire à vingt-cinq ans, à vingt-huit il est négociateur politique à Gand, et quelque chose, auprès de Louis XVIII, comme Benjamin Constant auprès de Napoléon, une sorte d’inspirateur de l’acte additionnel aux constitutions de la royauté. Et désormais, pendant toute la restauration, il est historien et homme politique concurremment, l’un inspirant l’autre, l’un par l’autre contenu, guidé ou réglé, la théorie dérivant de la pratique, la pratique se conformant à la théorie, toutes deux liées, ayant parentage, ou voisinage au moins, et ne se perdant pas de vue. Il ne se peut que le juste milieu ne soit point le rendez-vous naturel de ce commerce, et que les idées moyennes ne s’imposent point à l’esprit de notre historien homme d’État, parce que les idées moyennes sont avant tout des idées pratiques. Aussi, toutes les idées générales de Guizot sont-elles des idées de juste milieu, des idées complexes et composites quant à leur essence, applicables et d’usage quant à leur but ; des idées, d’une part, formées d’élémens très divers qui se concilient, ou plutôt qui s’arrangent entre eux du mieux qu’ils peuvent ; des idées, d’autre part, qui se prêtent à un emploi immédiat ; des idées dont on peut vivre, et qui sont un aliment tout prêt pour l’activité humaine régulière, sensée et prudente.

Il a un juste milieu philosophique et religieux, — un juste milieu politique, — et ses études d’histoire sont la production des titres historiques du juste milieu. On sent tout de suite que celui-là n’est pas un homme qui fait de la politique à l’usage de la France dans un palais de Saint-Pétersbourg.

Sa philosophie religieuse, qu’on peut trouver superficielle, mais qui est d’une courageuse et ardente bonne volonté, n’est qu’un effort honnête, généreux et obstiné de conciliation. Il voudrait une philosophie très chrétienne et un christianisme dont le philosophe pût aisément s’accommoder. Il ne désespère pas du succès de cette tentative, tant il croit qu’au succès il y aurait profit moral et profit pratique. Et ce n’est point, en cette affaire, parce qu’il est superficiel qu’il est conciliateur ; c’est plutôt parce qu’il est conciliateur qu’il reste superficiel, sachant bien que c’est ici surtout qu’à creuser on se sépare. Il demande à chacun une concession légère, ou qu’il lui semble qui est légère, et s’en contente ; et il cherche à réduire chacun au minimum de sa croyance. De ces croyances dépouillées de leur surcroît gênant, il espère faire une croyance