guillerets comme des mouches quand elles quittent leur long sommeil, et alors Apollon fit ce chef-d’œuvre d’allumer quelques étincelles dans ces cendres mortes. Réchauffé et attendri par ce beau temps, il voulut l’embrasser, mais sa vieille tête à elle tremblait tant qu’autant de fois il essayait, autant de fois il la manquait. Il croyait que c’était pudeur, mais comme c’était bien contre son gré, elle faisait de son mieux pour le contenter sans pouvoir y réussir. Elle grommela quelque chose, mais il ne put pas la comprendre. Alors il cria : « Douce Héro, je serai ton Léandre ! » et elle répondit : « Avant notre rencontre, j’étais froide comme une pierre, mais maintenant je suis Vénus, et vous êtes Adonis. » L’amour parlait par ces deux êtres le même langage passionné qu’il parle par les plus jeunes amans au début même de leur affection ; car Cupidon entend régner toujours sur l’homme et le gouverner depuis le berceau jusqu’à la tombe. Vertueux autant que pressés, ces deux amans ne veulent ni pécher, ni retarder, et sur l’heure, dans toute la chaleur de cette rencontre, ils font serment de se marier. Aussitôt la nouvelle de ce mariage se répandit chez tous les mendians du voisinage et de plus loin. Au jour marqué, boiteux, aveugles et sourds se réunirent. Le fiancé, conduit entre deux boiteux, se poussait lentement d’un pas rythmé par les saccades de la claudication, la fiancée était conduite par deux aveugles qui restaient en arrière d’elle, parce que, vous le savez, l’amour est toujours aveugle. Un prestolet de bourgade, qu’ils allèrent chercher, les maria avec un vieil anneau de rideau. La fiancée n’eut personne pour lui tenir lieu de père, parce qu’elle était si vieille qu’on ne put lui en trouver un.
La chose faite, avec des acclamations de joie bruyante, ils prièrent le dieu de l’hymen d’envoyer un garçon, de faire un miracle, et la paroisse fit très solennellement vœu de prendre à sa charge tous leurs enfans.
Alors un Tom de Bedlam souffla dans sa corne pour appeler les conviés à la fête du mariage. Ils avaient bonne provision d’os à moelle de choix ramassés dans la rue, de carottes tirées du ruisseau d’un adroit coup d’orteil et de je ne sais combien d’autres friandises en plus grand nombre que je ne puis les compter et qu’il serait trop difficile de nommer. Alors vint le banquet indispensable, la ville le donna, c’est-à-dire du pain blanc et de l’aie forte.
Ils se soûlèrent tous si bien qu’ils ne pouvaient se tenir droits ; cependant ils voulurent danser et crièrent : de la musique, holà ! Ils composèrent un orchestre avec des grils, des pincettes et des clés, les aveugles chantèrent comme faisait Homère, quelques-uns sifflaient ou sonnaient dans des bâtons creux et ainsi mélodieusement ils jouèrent une ronde.
Boiteux et boiteuses se groupèrent, et, clochant à qui mieux mieux, dansèrent jovialement ; les sourds s’en mêlèrent à leur tour, car ils ne