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directement dans un jour prochain ce sujet de la sorcellerie, il nous plaira de reprendre cette opinion et d’en expliquer la haute portée en lui donnant tous les développemens qu’elle mérite. Qu’il nous suffise de l’employer aujourd’hui pour montrer la nature de l’esprit du duc et combien il était pénétrable à la lumière.

Le duc enfin était poète à ses heures, et ces heures-là étaient fréquentes. Outre ses tentatives dramatiques déjà mentionnées, il écrivait des intermèdes pour des pièces de la duchesse, des chansons amoureuses, de grivoises allégories. Le souvenir de la poésie à la mode à l’époque de sa jeunesse y est visible, et sa mémoire y fait plus d’un emprunt aux poètes antérieurs. Par exemple, il a un boniment de colporteur vantant sa marchandise aux paysans des villages anglais, où il s’est manifestement souvenu de la chanson d’Autolycus dans le Conte d’hiver de Shakspeare. Plus loin, une assez jolie pièce, les Flèches de Cupidon, est une imitation très directe d’une chanson de Robert Greene. En général, les poésies du duc ressemblent singulièrement à celles de sa femme ; comme dans ces dernières, l’inexpérience domine, la gaucherie, et une négligence dans l’exécution d’où naissent des inégalités presque incroyables. Un hémistiche heureux est complété par une demi-ligne de prose plus qu’ordinaire ; ce style est mou et lâché par places comme un membre sans os qui soutienne la chair. Mais on aurait tort pour cela de juger ces poésies méprisables ou seulement médiocres, car elles rachètent leurs faiblesses par la nouveauté des sujets et révèlent une âme originale trahie par ses moyens d’exécution. Rien de banal même dans le lieu-commun, rien d’artificiel même dans le précieux. Poésie de grand seigneur qui en a pris à son aise avec les difficultés de l’art, et à qui le sans-gêne a réussi mieux que ne l’auraient fait probablement un effort plus studieux et un souci plus inquiet du mieux. Et le noble poète est bien foncièrement de son pays ; voilà un adversaire que ses ennemis les puritains n’auraient pu renier pour leur compatriote. L’imagination anglaise est chez lui aisément reconnaissable ; il en a les formes les plus caractéristiques et les préférences même les plus outrées, l’amour de la réalité, le goût du grotesque, la recherche du bizarre. Il les a tellement, ces préférences, qu’il en perd tout aristocratisme, et qu’on éprouve parfois quelque surprise à les rencontrer sous la plume du chef des Cavaliers. Une veine d’humour large, abondante, facile, l’aide merveilleusement à contenter ces préférences en le portant naturellement tantôt vers la satire fantasque, tantôt vers les trivialités amusantes et les réalités picaresques. Un exemple. S’il est un caractère qui ait été cher aux poètes anglais des deux derniers siècles dans leurs momens de réalisme, c’est bien celui du mendiant facétieux et de belle