Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyennant telles récompenses qu’il était en son pouvoir de leur donner ; que c’était leur religion d’adorer le diable et de lui rendre un culte ; qu’elles avaient en cette religion une foi si ferme et si constante, que s’il leur arrivait quelque chose de conforme à leurs désirs, elles croyaient que le diable avait entendu leurs prières et exaucé leurs requêtes, de quoi elles lui rendaient leurs remercîmens, mais que, si les choses arrivaient au contraire de leurs prières et de leurs désirs, alors elles étaient troublées, s’imaginaient l’avoir offensé, ou ne l’avoir pas servi convenablement, et lui demandaient pardon pour leurs offenses. Elles s’imaginent encore que leurs rêves sont des actions extérieures réelles ; par exemple, si elles rêvent qu’elles volent en l’air ou qu’elles s’échappent par la cheminée, ou qu’elles prennent différentes formes, elles croient sans hésiter qu’il en est réellement ainsi, et cette opinion perverse les rend industrieuses à accomplir en faveur du diable de telles cérémonies qu’elles lui rendent un culte et l’adorent comme leur dieu, et choisissent de vivre et de mourir pour lui.

Telle est l’opinion que monseigneur exposa sur les sorcières et que M. Hobbes s’est plu à insérer aussi dans son livre déjà mentionné[1]. Mais monseigneur ne tient pas cette opinion pour si universelle qu’il ne puisse bien y avoir d’autres sorcières que par imagination ; car il ne parle que de cette sorte de sorcières qui ont pour religion d’adorer le diable de la manière dite ci-dessus. Il ne pense pas non plus que ce soit un crime de professer sur les matières indifférentes telle opinion qui lui semble la plus probable, car sur ces matières les hommes peuvent discourir et argumenter comme il leur plaît pour exercer leur esprit, et peuvent changer et altérer leurs opinions selon qu’ils en ont découvert de meilleures assises ou des raisons plus probantes, tandis que sur les matières fondamentales qui intéressent l’église et l’état, il est un si ferme adhérent de l’un et de l’autre qu’il ne maintiendra jamais ou ne défendra des opinions qui peuvent leur être préjudiciables.


La page qu’on vient de lire est ce qui a jamais été dit de plus pénétrant et de plus vrai sur la sorcellerie. Newcastle s’est admirablement rendu compte du sinistre phénomène, et il est allé droit avec une raison supérieure à ce qui en est le centre vital, le cœur même. Nous ne pouvons nous y arrêter autant que nous le voudrions, mais si, comme nous en avons bonne envie, nous abordons

  1. Le Léviathan. La seconde opinion que Hobbes a empruntée à Newcastle pour ce livre singulier se rapportait à cette question bizarre, souvent agitée pendant les deux derniers siècles, si l’homme pourrait voler avec le secours d’ailes artificielles ingénieusement construites. Newcastle répondait non, et en donnait pour raison que les bras de l’homme sont dirigés en avant, tandis que les ailes de l’oiseau, qui sont ses bras, sont dirigées en arrière.