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plus d’un bon esprit, après avoir rencontré ces opinions dans notre XVIIe siècle, sans en être trop étonné et scandalisé, de n’avoir plus pour elles qu’horreur et mépris s’il tournait ses regards sur l’Angleterre de la même époque. Et pourquoi cette différence, sinon parce que ces opinions ont été chez nous victorieuses pendant un temps, non sans gloire et sans profit pour la nation, tandis qu’elles ont été vaincues en Angleterre, tant le succès est d’ordinaire la mesure du jugement humain, même dans les choses du passé. La philosophie de l’histoire, par exemple, qui n’a à se prononcer que sur des faits accomplis qui ont soit triomphé, soit échoué, et qui par conséquent n’est jamais embarrassée de placer à coup sûr ses enthousiasmes et ses blâmes, connaît-elle une autre justice que celle qui est compatible avec le succès ?

C’est un programme de monarchie très parfaitement absolue que nous venons d’esquisser en plaçant dans un ordre à peu près logique, dont la duchesse ne s’inquiète guère, les conversations de Newcastle. Un dernier trait pour le compléter. Une telle monarchie exigeait des serviteurs entièrement dévoués, et pour les avoir dévoués, Newcastle voulait qu’ils fussent récompensés d’une manière exceptionnellement magnifique, devançant sur ce sujet le système napoléonien, comme sur le sujet de l’armée nous l’avons vu devancer le système des rois de Prusse ; mais il n’admettait pas qu’en aucun temps et dans aucune circonstance les faveurs du souverain pussent se porter sur des opposans à sa volonté. Le livre de la duchesse contient à cet égard une page sérieusement forte, et qui est à citer parce que quelques-unes de ses parties sont d’application sous tous les régimes.


C’est une grande erreur et une faible politique dans un État d’avancer ses ennemis et de s’efforcer de se les rendre amis en les achetant par des honneurs et des places, sous prétexte qu’ils sont d’habiles gens et peuvent faire à l’État beaucoup de mal, et en même temps de négliger ses amis et ceux qui ont rendu à l’État de grands services, en disant : « Ce sont d’honnêtes gens qui ne veulent aucun mal à l’État. » Cette manière de politique vient des païens, qui priaient le diable et non pas Dieu, par la raison qu’ils supposaient que Dieu était bon et ne voulait faire de mal à aucune créature ; mais ils flattaient et adoraient le diable parce qu’ils en avaient peur et pour qu’il ne leur fit pas de mal. Par cette folle politique, les gouvernemens, d’ordinaire, grandissent leurs ennemis et perdent leurs amis ; car d’abord elle enseigne à tous que la seule voie à la faveur est d’être contre l’État ou le gouvernement ; et puis, comme tous les factieux ne peuvent pas être récompensés ou avancés, par la raison qu’un État a plus de sujets qu’il n’a de récompenses ou de places, le nombre de ses ennemis sera