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encore, peut-être à cause de ces vengeances, estimé à sa valeur. Shadwell rendait au duc ses éloges sous forme d’admiration pour ses talens de critique et de connaisseur en matière d’art dramatique, les plus étendus et les plus profonds, disait-il, qu’il eût jamais rencontrés. Flatterie à part, nous ne doutons pas qu’il n’y ait eu beaucoup de vrai dans ce jugement, et que, si les opinions de Newcastle en cette matière nous étaient parvenues, nous les trouverions sensées, judicieuses et inclinant plus volontiers vers le classicisme français que vers l’exubérance et l’audace hyperbolique du drame anglais.


II

C’est ce magnifique seigneur, si bien fait pour les arts de l’élégance, que la seule mauvaise chance de sa vie désigna pour commencer la guerre civile d’Angleterre. La guerre civile ! la seule qui laisse sans gloire, même lorsqu’on y est victorieux, la seule pour laquelle la politique de Rome ne voulut jamais de triomphe ! Qu’il y ait été un fantastique, virtuose à cheval, selon la pittoresque expression que Warburton, au siècle suivant, trouva pour le définir, nous le croyons sans peine, car, s’il y eut jamais âme qui fut en disproportion avec les pénibles devoirs qu’impose cette plus déplaisante des tâches, ce fut la sienne. Il y faut une âme ferme jusqu’à la dureté, froide jusqu’à la cruauté, maîtresse d’elle-même en apparence, mais avec une colère latente et permanente, pareille à un tonnerre sans éclairs ni grondemens ; et la sienne n’était que dilettantisme, aimable culture, élégante adresse, et généreuse belle humeur.

Ce qu’il avait ne lui nuisait pas moins que ce qui lui manquait. Il avait de la clairvoyance, de l’ouverture d’esprit, de la liberté dans les opinions, et une absence presque complète de préjugés. Mais cette clairvoyance ne servait qu’à attiédir son ardeur, cette ouverture d’esprit à enseigner le scepticisme, et cette absence de préjugés à pratiquer l’indifférence. Eh ! que n’avait-il plutôt l’aveugle ardeur, l’absurde opiniâtreté, les espérances erronées et les préjugés indéracinables du plus obtus des squires qui le suivaient ! ou pourquoi sa culture d’esprit ne lui avait-elle pas présenté cette pensée profonde de son antagoniste Cromwell : « Un homme ne va jamais aussi loin que lorsqu’il ne sait pas où il va, » il aurait compris qu’en guerre civile la véritable prudence, c’est d’aller toujours de l’avant, de ne jamais douter de la puissance de sa cause, et de ne jamais admettre qu’une défaite soit irréparable.

Avant que les troubles civils eussent commencé, il avait