Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Loin d’être ridicule comme le prétend Pepys, le livre est tel au contraire qu’il serait désirable qu’il y en eût beaucoup sur les grands acteurs de la politique et de la guerre, et l’enthousiasme de Charles Lamb, peut-être excessif pour les autres écrits de l’auteur, est beaucoup plus légitime pour celui-là. Ce qui en faisait le ridicule aux yeux des contemporains est précisément ce qui en fait le prix aujourd’hui, c’est-à-dire cette abondance de détails familiers dans laquelle la duchesse a été jetée par adoration pour son mari. Lorsqu’elle eut entrepris de l’écrire, elle demanda à Newcastle de se faire assister dans son travail par quelque homme de lettres versé dans les élégances de la rhétorique et les artifices des compositions méthodiquement ordonnées ; mais le duc la refusa net, jugeant avec bon sens que l’amusante gaucherie de sa femme lui rendrait meilleur service et le représenterait plus au naturel que ne pourrait le faire l’expérience littéraire de l’écrivain le plus accompli. « Il me répondit que, n’ayant eu aucune assistance pour écrire mes livres précédens, je n’en aurais pas d’autres pour écrire sa vie que les informations que je pourrais tirer de lui et de son secrétaire sur ses opérations et vicissitudes de fortune jusqu’au jour où il m’épousa. Je lui dis humblement que sans une autre assistance lettrée cette histoire serait défectueuse ; il répliqua que la vérité ne pouvait pas être défectueuse. Je lui dis encore que la rhétorique servait la vérité, et il me répondit que la rhétorique était mieux faite pour les faussetés que pour les vérités. » La volonté de Newcastle a été exécutée, et telle a été la soumission de la duchesse à s’y conformer que non seulement la rhétorique qu’il redoutait est absente de cette histoire, mais qu’elle en a changé pour l’écrire le style qui lui est habituel. Le fait est d’autant plus remarquable que d’ordinaire ce style est loin d’être dépourvu de ces mérites et agrémens qui se peuvent puiser dans la rhétorique. Elle a de la noblesse, mais encore plus de pompe ; de l’imagination, mais presque autant d’emphase ; des saillies originales, mais encore plus de goût pour les affectations de langage. Rien de pareil dans cette vie de son mari, le style en est d’un bout à l’autre simple jusqu’à la banalité, nu jusqu’à l’indigence, familier jusqu’à la trivialité. C’est que le livre a été composé en partie avec ses souvenirs, en partie avec les propos qu’elle a entendu tenir à son mari ; d’instinct elle a abrégé et écarté les récits des périodes qui demandaient de l’art, de l’ordonnance, de l’ampleur, un style d’une élévation soutenue et constante. Quoiqu’il soit l’œuvre de la duchesse, ce livre a donc été écrit sous la dictée même de Newcastle, et peut être considéré comme ses mémoires personnels. C’est lui-même qui se décrit, se raconte, s’explique, se justifie ; nous le voyons dans la familiarité de ses goûts de magnificence et de virtuosité, nous