Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

belle d’une beauté qui le « contente, » car « il a le cœur trop vaste, » il n’y a que lui-même, idéal sexué de la beauté créée, qui puisse « remplir le grand vide qu’il a fait en sortant de soi-même. » Ainsi l’esthétique n’est, au fond, que l’anthropomorphisme masculin et féminin appliqué à l’univers. Cette vue, singulièrement hardie et neuve du temps de Pascal, lui semble toute simple : « La nature a si bien imprimé cette vérité dans nos âmes, que nous trouvons cela tout disposé ; il ne faut point d’art ni d’étude ; il semble même que nous ayons une place à remplir dans nos cœurs et qui se remplit effectivement. Mais on le sent mieux qu’on ne le peut dire. Il n’y a que ceux qui savent brouiller et mépriser leurs idées qui ne le voient pas. »

L’idéal esthétique défini, Pascal se préoccupe naturellement de concilier la légitime diversité des préférences individuelles avec ce principe général et fixe du choix, avec cet immuable parangon dont l’esquisse au moins est déposée au fond de toutes les âmes et qui admet tous les goûts, mais dans la juste mesure du goût. La difficulté n’est pas mince ; il s’en tire habilement : « Quoique cette idée générale de la beauté soit gravée dans le fond de nos âmes avec des caractères ineffaçables, elle ne laisse pas de recevoir de très grandes différences dans l’application particulière, mais c’est seulement pour la manière d’envisager ce qui plaît. Car l’on ne souhaite pas nûment une beauté, mais l’on y désire mille circonstances qui dépendent de la disposition où l’on se trouve ; et c’est en ce sens que l’on peut dire que chacun a l’original de sa beauté, dont il cherche la copie dans le grand monde. » Et, ne perdant point de vue le sujet spécial de sa méditation, il explique très finement l’influence des femmes sur la formation de cet original et comment il est malléable et variable sous leur impression. « Néanmoins les femmes déterminent souvent cet original. Comme elles ont un empire absolu sur l’esprit des hommes, qu’elles y dépeignent ou les parties des beautés qu’elles ont, ou celles qu’elles estiment, et elles ajoutent par ce moyen ce qui leur plaît à cette beauté radicale. C’est pourquoi il y a un siècle pour les blondes, un autre pour les brunes… La mode même et les pays règlent souvent ce qu’on appelle la beauté. C’est une chose étrange que la coutume se mêle si fort de nos passions. Cela n’empêche pas que chacun n’ait son idée de beauté sur laquelle il juge les autres, et à laquelle il les rapporte. C’est sur ce principe qu’un amant trouve sa maîtresse plus belle, et qu’il la propose comme exemple. » Il y aurait donc, en dernière analyse, dans la composition d’un idéal individuel trois élémens superposés : d’abord le type général de la forme humaine accomplie ; ensuite