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françaises, ce sont aussi les génies spéculatifs de l’Allemagne, ceux qui, depuis un siècle, avaient donné l’essor à la littérature, à la philosophie, à la science allemandes, par cela même à l’esprit public allemand : nous avons été battus par les Kant et les Fiente, par les Goethe et les Schiller, par les Alexandre de Humboldt et les Guillaume de Humboldt, par les Gauss et les Helmholtz, comme par les Bismarck et les de Moltke.

Les savans français du siècle dernier étaient de grands théoriciens ; quand il l’a fallu pour la défense du pays, ils sont tous devenus de grands praticiens. Ils surent improviser à la fois les armes, les vêtemens, les munitions du soldat. Clouet, élève de Monge, apporte un procédé pour transformer le fer en acier fondu ; Vandermonde fabrique de la poudre ; Berthollet, de la monnaie ; de la Rochelle, des armes. Guyton-Morveau trempe les lames de sabre ; avec Coutelle et Conté, il construit des ballons, dirige des compagnies d’aérostiers. Chappe organise la télégraphie. Monge, l’inventeur de la géométrie descriptive, fait fondre et forer les canons et se charge de l’affinage de l’acier, art nouveau dont la France lui est redevable. La poudre était ce qui pressait le plus. On cherche le salpêtre jusque dans les ruines de Lyon et la soude dans les forêts incendiées de la Vendée. La chimie improvise des moyens nouveaux pour raffiner et sécher le salpêtre en quelques jours. Pour suppléer aux moulins, des hommes tournent des tonneaux où le charbon, le soufre et le salpêtre étaient mêlés avec des boules de cuivre, et on fabrique de la poudre en douze heures. « Ainsi, dit Biot, se vérifia cette conception hardie d’un membre du comité de salut public : on montrera la terre salpêtrée, et cinq jours après on en chargera les canons[1]. » Ainsi, ajouterons-nous, l’enthousiasme spéculatif se transforma en enthousiasme d’action, et des sommets de la science, comme d’un nouvel Olympe, les principes les plus abstraits, semblables aux dieux d’Homère, descendirent dans la mêlée des peuples.


ALFRED FOUILLEE.

  1. Histoire des sciences pendant la Révolution, p. 54.