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leur faire apparaître et l’esprit humain et l’univers : détachée de ces deux termes, une vérité scientifique perd son intérêt avec sa portée ; elle ne peut plus avoir qu’un intérêt pratique et industriel.


Il ne suffit pas que l’enseignement des sciences soit animé de l’esprit philosophique, il faut qu’il ait son complément et, en une certaine mesure, son contrepoids dans un enseignement sérieux de la philosophie même.

L’instruction secondaire se propose deux fins principales : elle doit d’abord fournir à ceux qui ne continueront pas leurs études dans l’enseignement supérieur une culture suffisante pour les fonctions de la vie privée, de la famille, de l’État ; elle doit en second lieu donner aux autres toutes les connaissances nécessaires pour aborder avec profit l’instruction supérieure. Or, la philosophie est essentielle pour introduire l’unité dans les diverses sciences, l’unité dans les diverses branches de la littérature, enfin l’unité entre les sciences et les lettres, entre les lois naturelles et les lois sociales ou historiques. C’est seulement de cette unité que résultent une conception scientifique du monde et une règle supérieure de conduite, pour ceux qui ne poursuivront pas plus loin leurs études. Il faut que l’enseignement secondaire aboutisse à une philosophie de la nature et à une philosophie morale et sociale. Sans cela, il demeure anarchique, détaché de ses principes, de ses conséquences, de ses fins ; c’est une analyse sans synthèse, ou, pour parler comme Aristote, un mauvais drame fait d’épisodes. La philosophie est donc essentielle à tous ceux qui doivent se contenter de l’instruction secondaire ; il faut qu’ils emportent de leurs études des conclusions générales sur la nature, sur l’humanité, sur les lois et les fins de l’existence, soit individuelle, soit collective. Les sciences morales et sociales sont d’ailleurs les seules éducatrices par elles-mêmes, parce qu’elles fournissent à la fois à nos plus hautes facultés un exercice et un aliment : toutes les autres sciences doivent donc y aboutir. Par le mot science tout court, remarque M. Dubois-Reymond, les Français entendent les sciences de la nature (Naturwissenschaft), et par celui de Wissenschaft tout court, les Allemands entendent les sciences de l’esprit (Geistesmissenschaft).

En outre, la philosophie est le seul enseignement où l’élève, par le fait d’écouter son maître, soit vraiment actif, au lieu de rester un « appareil enregistreur. » On ne peut bien apprendre la psychologie, la logique, la morale, sans les comprendre ; on ne peut les comprendre sans les refaire en quelque sorte ou les repenser,