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peut être que la philosophie. Deux choses sont nécessaires. Il faut d’abord, dans l’étude de chaque science, introduire l’esprit et la méthode philosophiques, les vues d’ensemble, la recherche des principes et des conclusions les plus générales ; il faut ensuite ramener les diverses sciences à l’unité par un enseignement sérieux de la philosophie, qui sera non moins obligatoire pour les élèves des sciences que pour les élèves des lettres. Les jeunes gens ne suivent le maître que quand ils aperçoivent un but et des avenues qui y aboutissent ; si vous ne pouvez pas, si vous ne devez pas leur faire voir l’application pratique de chaque vérité, faites-en voir, pour ainsi dire, l’application théorique, c’est-à-dire la place et l’importance dans le système des connaissances humaines. Les sciences ne peuvent être bien enseignées à des jeunes gens que par des hommes d’esprit philosophique qui verront toujours la partie dans le tout et ne perdront jamais de vue la hiérarchie des vérités.

D’abord, il faut montrer dans les sciences le côté humain, c’est-à-dire la part de l’esprit dans leur formation et dans leurs découvertes : c’est dire que la méthode de chaque science, qui est une application de la logique générale, devrait être l’objet d’une étude particulière et attentive. Cette logique, d’ailleurs, ne serait pas tout abstraite, car elle pourrait s’accompagner des grands exemples fournis par l’histoire des sciences. Il est des vérités scientifiques, dit Descartes, qui sont des batailles gagnées ; racontez aux jeunes gens les principales et les plus héroïques de ces batailles : vous les intéresserez aussi aux résultats mêmes des sciences, et vous développerez chez eux l’esprit scientifique, au moyen de l’enthousiasme pour la conquête de la vérité ; vous leur ferez comprendre la puissance de raisonnement qui a amené les découvertes actuelles et en amènera d’autres. Quel intérêt prendraient l’arithmétique et la géométrie si on joignait un peu de leur histoire à l’exposition de leurs principales théories, si on assistait aux efforts des Pythagore, des Platon, des Euclide, ou, plus tard, des Viète, des Descartes, des Pascal, des Leibniz ! Les grandes théories, au lieu d’être des abstractions mortes et anonymes, deviendraient des vérités vivantes, humaines, ayant leur histoire, comme une statue qui est de Michel-Ange, comme un tableau qui est de Raphaël.

En même temps chaque vérité scientifique aurait sa moralité. « Croyez-moi, dit Tyndall, il se passe bien des nobles faits de renoncement à soi-même, à l’insu du monde, dans le cœur d’un véritable adepte de la science, quand il poursuit dans le secret de son laboratoire le cours de ses expériences. » La science, dit à son tour M. Huxley, grandit dans la mesure où elle est morale : « La