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de notions générales et communes à tous les genres de services et de détails pratiques propres à chacun d’eux. Parmi les premiers, et au premier rang, sont les mathématiques élevées, qui donnent de la tenue et de la sagacité à l’esprit. Viennent ensuite les grandes théories de la chimie et de la physique[1]. » S’il est bon, pour mon éducation intellectuelle, d’apprendre les formules AzO, AzO2, AzO3, AzO4, AzO5, c’est seulement comme exemple de la merveilleuse structure des atomes, de leurs combinaisons régulières et de leurs mariages. Pratiquement, le jour où j’aurai besoin, pour une industrie quelconque, de bien connaître les formules chimiques, je n’aurai qu’à les étudier dans un bon traité, et ce n’est pas avec mes souvenirs de collège que je me tirerai d’affaire. On croit logique de faire apprendre aux jeunes gens, dès le lycée, les sciences dont ils auront plus tard à s’occuper dans leur profession ; par exemple les sciences naturelles et la physiologie aux futurs médecins. Le principe contraire serait bien plus logique. Un étudiant en médecine ne saura vraiment l’anatomie et la physiologie qu’à l’amphithéâtre et dans les salles de dissection, et le temps ne lui manquera pas pour cela. A quoi bon lui enseigner superficiellement dès le lycée ce qu’il sera obligé plus tard d’apprendre de nouveau ? Enseignez plutôt aux jeunes gens ce qu’ils n’auront pas plus tard l’occasion ou la nécessité d’apprendre. Un futur médecin a plus besoin de bonnes études mathématiques et physiques, littéraires et philosophiques que d’histoire naturelle ; il a besoin de tout ce qui peut donner à son esprit rectitude et élévation ; il a besoin d’un peu d’idéalisme en attendant qu’il fasse connaissance avec les misères de la vie humaine et avec les mystères de la mort. L’enseignement utilitaire, qui se préoccupe trop tôt de la profession spéciale, va contre son but et, loin de préparer à cette profession des hommes plus aptes, il ne lui fournit que des esprits incomplets et mutilés. Tout ce qui est trop particulier et trop spécial doit être exclu d’une éducation libérale : il s’agit de faire d’abord des hommes, et des hommes doués des grandes vertus sociales, non de faire déjà des ingénieurs, des mécaniciens, des médecins ou des pharmaciens. La spécialité ne doit venir qu’après l’acquisition sûre et durable des connaissances universelles : l’utile ne doit venir qu’après le vrai et le beau.

Au moins devrait-on s’inspirer de ces principes dans le choix des sciences à enseigner aux élèves des lettres. L’astronomie, par exemple, est moins pratique, moins applicable à l’industrie que la chimie, mais elle est aussi plus propre à exciter l’admiration et à

  1. Biot, Histoire des sciences, p. 59.