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'2b REVUE DES DEUX MONDES. vertus, il s’expliquait la faiblesse compatissante de Marie-Made- leine. 11 voyait la jeune fille, privée de sa mère, seule avec un père indifférent ou aigri, aimante et bonne par nature, éprise par ïatalité ou par accident; et il la jugeait sans colère. Il savait, pour en avoir quelquefois profité lui-même, qu’il entre beaucoup de charité vraie dans le don que certaines femmes font de leur per- sonne. A la vérité, il faut qu’elles soient prédisposées à cette au- mône par une grande sympathie ; mais n’en est-il pas de même pour d’autres aumônes, beaucoup moindres ? Les femmes ne don- nent rien, fût-ce une obole, à qui leur déplaît. Mais, quand leur sympathie pour le mendiant, sans s’élever même jusqu’à la passion désordonnée, ingouvernable, dépasse la température et le niveau des sentimens paisibles, comment refuseraient-elles de se donner tout entières, n’ayant plus rien à donner alors qu’elles-mêmes? Ainsi songeait Frantz en veine d’indulgence. Et, lancé sur la pente, il ne s’arrêtait plus, cherchant et trouvant des explications inédites de ces naufrages de virginités. Il en arrivait à forger, pour l’usage de Marie -Madeleine, des excuses du genre le plus inattendu. Il s’en prenait au nom même de la jeune fille, à ce nom de Marie- Madeleine, et méditait sur l’influence secrète qu’un ensemble de syllabes, évoquant le souvenir d’un personnage fameux, peut exer- cer, à la longue, sur qui l’entend chaque jour appliquer à la dési- gnation de son être. Les héroïnes de roman que l’auteur a l’in- tention de faire trébucher s’appellent souvent Madeleine... à moins qu’elles ne trébuchent parce que l’auteur les a, tout d’abord, bap- tisées ainsi. Dans la vie réelle, n’y aurait-il pas pareillement des victimes de ce nom délicieux et fatal?.. Disons, d’un mot, qu’il était fou de la jeune fille et ne voulait ni ne pouvait renoncer à elle. Quelque chose même de plus pressant et de plus impérieux que ce qu’il avait ressenti jusque-là ne tarda pas à aiguillonner son ardent désir, son âpre besoin de possession, tandis qu’il achevait de réfléchir. Depuis qu’il était informé qu’un autre l’avait devancé, il lui semblait avoir été frustré. 11 voulait, à tout prix, qu’on lui fît justice, ou qu’on essayât de le dédommager. Puis, une jalousie terrible s’empara de lui tout à coup, une jalou- sie que les femmes ne connaissent guère que passivement et par ses effets, quand elles ont à en subir les heurts, une jalousie qui s’alimente toute du passé. Un autre avait eu Marie-Madeleine ! Et lui, lui qui l’aimait au point de se démentir lui-même et de boule- verser sa vie pour elle, il ne l’aurait pas!.. Il fallait qu’elle fût à lui ! Ce n’était pas assez de sentir le cœur de la jeune fille se livrer de plus en plus, son àme attendrie et désolée prête à se réfugier et à se blottir dans cette amitié que le sort avait semblé lui ofirir comme une compensation tardive. Il n’était pas de ceux à qui uu