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278 REVUE DES DEUX MONDES. D’autre part, les lèvres de Marie-Madeleine, descellées sous l’effort des sanglots, laissaient échapper des mots sans suite. Ces disposi- tions réciproques aboutirent à une longue et douloureuse confes- sion, trempée de larmes. Et voici ce qu’apprit Frantz. A Nancy , durant tout un long hiver , le baron de Butten- court avait courtisé Marie-Madeleine, mais non pas ouvertement. 11 fréquentait, à la vérité, la maison du père de la jeune fille. Seu- lement, comme Hélène y venait sans cesse et qu’il lui adressait des hommages assez ostensibles, on pouvait et l’on devait croire que c’était à elle qu’il en avait, plutôt qu’à la cousine de celle-ci, — d’autant qu’Hélène llart servait de point de mire, avec ses quatre millions de dot et ses espérances insondables, à toute la noblesse de la province. — En somme, le baron jouait un double jeu : il aimait Marie-Madeleine et visait la fortune d’Hélène, ou du moins se conformait aux injonctions de sa grand’mère, laquelle, ayant déjà de la répugnance pour la roture des frères Hart, ne pouvait avoir que de l’aversion pour celui des deux qui était hors d’état désormais de lui dorer la pilule d’une mésalliance, et dont l’honorabilité même semblait chanceler en même temps que la prospérité. Les choses allèrent quelque temps ainsi, M. de Buttencourt ayant réussi à ne se point trahir et à tenir la balance égale entre les deux jeunes filles. Il avait persuadé à Marie-Madeleine qu’il ne faisait la cour à Hélène que pour donner le change à la douairière, en attendant qu’il pût la rallier, et que, d’ailleurs, il ne serait ja- mais pris au sérieux dans un rôle qu’il jouait visiblement à contre- cœur. — De fait, il ne s’y dépensait pas trop, dominé par son amour plus que par son intérêt. — Mais il arriva qu’Hélène s’éprit du beau gentilhomme, à l’insu de sa cousine. S’étant absentée pour un voyage à Paris, cette absence lui révéla que les hommages du baron lui étaient devenus indispensables. Et, de retour à Nancy, elle se mit en devoir de les bien accueillir. Or, dans l’intervalle, le baron, faisant valoir les angoisses d’une longue attente, rendue nécessaire par l’opposition de plus en plus certaine de sa grand’- mère ; mettant en œuvre toute sa science de séduction et sa pas- sion très réelle; profilant, en outre, de l’isolement momentané de Marie-Madeleine, le baron, qui était aimé d’elle, était devenu son amant. Ivresse passionnée des deux parts, sans doute; mais, du côté de la jeune fille, plus de compassion peut-être que de passion. Et, de l’autre côté, plus de folie sensuelle encore que de véritable lâcheté. Car, s’il est vrai que l’on ne trouverait pas facilement deux hommes sur cent pour approuver, ni même pour excuser un for- fait de ce genre, il n’est pas moins vrai, hélas! que l’on n’en trouve-