Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/268

Cette page n’a pas encore été corrigée

262 REVUE DES DEUX MONDES. — De quelle preuve parlez-vous , monsieur Real ? demanda- t-ellc avec une hauteur mêlée d’anxiété. Frantz pesa, pendant quelques secondes, les termes de sa ré- ponse. Puis, brûlant ses vaisseaux : — Je sais, dit-il, que M. de Buttencourt vous aime et vous pour- suit. D’autres le savent peut-être... — Taisez-vous, murmura la jeune fille avec effroi, taisez-vous!.. Si Hélène... En proie à une émotion violente , qui se traduisait par une pal- pitation terrible et par une pâleur de mort, elle dut se rasseoir, après avoir chancelé, comme fauchée par la secousse. Bientôt, la teinte livide du visage fit place à une rougeur de honte. Frantz jugea qu’il n’avait plus à ajouter qu’un mot : — Mademoiselle, dit-il en se levant pour s’incliner ensuite avec respect, le hasard, je n’ose dire ma perspicacité, m’a livré un secret qui est à vous, au moins pour partie. Quand vous voudrez que je parle ou que j’agisse, je parlerai ou j’agirai. Si vous préférez que je me taise et m’abstienne, aucune de mes paroles, aucun de mes actes ne seront en contradiction avec votre volonté. Mais, que je parle ou que je me taise, que j’agisse ou que je m’abstienne, je suis tout à vous... et jamais un doute n’altérera le caractère de ma tendresse, aussi respectueuse que passionnée. Lorsque M. de Buttencourt revint, la valse et la chansonnette étaient achevées; mais Marie-Madeleine n’était pas remise de son trouble. Et le baron s’en aperçut. Il essaya de la faire parler. Ce fut en vain : elle prétexta un étourdissement dû aux senteurs trop énergiques de deux énormes gerbes de jacinthes et de mimosas, arrivées le jour même des bords de la Méditerranée à l’adresse de la baronne. L’heure de la retraite fut encore avancée, ce soir-là : dix heures sonnaient à peine que déjà on se disait bonsoir dans le vestibule. M me Frugères annonçait son départ pour le lendemain. Et, au grand étonnement de tous, Edgar déclarait que, la jeune femme retour- nant dans la propriété où son mari devait prochainement la rejoindre et qui était voisine de la terre des Lecourtois, il se ferait un devoir et un plaisir de l’accompagner. — Nous sommes bien couche-tôt, aujourd’hui ! Avez -vous som- meil, jeune homme? — Pas trop. Du reste, j’ai ma pipe, qui m’attend là-haut, une petite pipe grande comme rien, mais qui se culotte à vue d’œil et fleure déjà comme baume. — Eh bien! allez la prendre, apportez-la chez moi et venez cau- ser pendant une demi-heure.