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— Très juste et très profond, ce que vous dites là... Mais, Mlle  Flart ?

— Quant à Mlle  Hart, reprit le jeune homme avec assurance, elle cédera aussi... Elle cédera parce qu’elle est difficilement mariable, son père n’ayant plus que fort peu d’argent et fort peu de considération... Et, suivez-moi bien, son mariage avec votre serviteur, qui a la chance et l’honneur d’être le fils de l’homme le plus considéré de Nancy, de l’homme intègre par excellence, ce mariage sera doublement utile à son père, lequel a des procès sur les bras, outre que sa réputation est fortement menacée, sinon avariée déjà. En épousant sa fille, outre que je l’en débarrasse, je lui jette un pan d’hermine sur la tête et lui gagne l’oreille de la magistrature. Comprenez-vous ?

— Oh ! à merveille. Vous êtes très fort, savez-vous bien ?

— Non ; mais, tout en ne tenant pas à l’argent... au-delà d’un certain chiffre, qui est précisément celui de la fortune de papa, je suis pratique. Je sais où je vais ; donc, j’arriverai.

— Je commence à le croire. Mais je ne vois plus, dès lors, en quoi vos rivaux peuvent vous inquiéter.

— Je ne peux pas tout vous dire, quoique je ne cache guère mon jeu, vous en conviendrez... Et cependant, si vous étiez aussi franc que je le suis, je poitrinerais encore moins, comme on dit au bézigue,et je vous montrerais peut-être mon gros atout.

Sans savoir au juste de quoi il retournait, M. Real pressentait que le gros atout en question avait la figure du baron de Buttencourt. Aussi, tout à fait captivé, cherchait-il un moyen honnête d’achever de lire dans le jeu qu’on lui cachait si peu, lorsque le baron rentra dans le salon, en compagnie des fumeurs.

Ceux-ci étaient des amis ou des voisins : un certain M. de Saint-Chamoins, vieux gentilhomme campagnard, qui, avec sa barbe rude et drue, toute pointillée de blanc, son teint de brique et son nez efïlorescent, ressemblait assez à un garde-chasse vieilli sous le harnais, tanné par la bise et saturé d’alcool ; puis le marquis de Prévallier, tout autre, mais guère plus avenant, ancien viveur retraité, dont l’antique vernis d’élégance s’était passablement écaillé au contact des mœurs provinciales, et qui n’avait plus guère que des prétentions pour déguiser sa profonde et native vulgarité.

Le premier regard de M. de Buttencourt fut, très involontairement sans doute, pour Marie-Madeleine, et le second pour les deux hommes qui causaient dans un coin en face d’elle. — Tout d’un coup, Real prit son parti d’être audacieux, au risque d’être maladroit.

— Je le connais, dit-il en se penchant à l’oreille d’Edgar, je le connais, votre atout : le voilà.