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rien n’engendre mieux l’antipathie entre hommes que l’impression mutuelle d’une égale force de séduction, d’une même valeur galante, pourrait-on dire, résultant de qualités opposées. Deux vainqueurs peuvent, à la rigueur, se pardonner réciproquement leurs succès lorsqu’ils triomphent par les mêmes moyens ; jamais ils ne seront indulgens l’un pour l’autre, inclinés à la bienveillance ni même à l’indifférence, si les armes dont la nature les a gratifiés ou les procédés qu’ils emploient sont d’une diversité complète. — Il convient d’ajouter, par exemple, que, pour les femmes, c’est souvent tout le contraire. — Or, M. Réal et le baron de Buttencourt, qui tous deux avaient eu, à Nancy, d’assez brillans états de services mondains, arrivaient à plaire par des voies fort dissemblables et à peu près divergentes. Tandis que l’un, en effet, devait presque tout à sa belle mine de gentilhomme robuste, bien fait, élégant, l’autre réussissait plutôt grâce à la supériorité discrète et doucement ironique de son esprit, au charme de sa parole et à l’aménité captivante de ses manières, le tout aidé par un extérieur agréable, sans doute, mais non point irrésistible. Deux seuls traits communs : le culte, l’idolâtrie physique de la femme et la passion de la chasse à courre.

D’ailleurs, ils ne s’étaient pas encore rencontrés sur le même territoire de chasse galante, leurs goûts et leurs penchans, ou simplement le hasard peut-être, les ayant entraînés dans des directions différentes. En outre, Frantz avait renoncé au séjour de Nancy depuis quelque deux ans, n’y faisant plus que de courtes apparitions, plus ou moins justifiées, pour revoir Marie-Madeleine, que toutes les bonnes fortunes et toutes les distractions de Paris et du monde n’étaient jamais parvenues à lui faire oublier tout à fait.

Ces ennemis, si longtemps inavoués, s’étaient donc quittés sans avoir eu, non-seulement à en venir aux mains, mais à se préparer au conflit, — ce qui explique que M. Real eût pu céder aux gracieuses instances de Mme  de Buttencourt. — Mais qu’allait produire maintenant leur inimitié, décuplée, centuplée par la jalousie ? Et qu’allait inspirer à l’amoureux légitime la découverte d’une intrigue où son adversaire ne pouvait jouer qu’un rôle de félon ? D’abord, il fallait la connaître tout entière, cette intrigue. Il ne s’agissait pas d’apercevoir vaguement les fils de l’imbroglio : il fallait, par une audacieuse mainmise, les saisir, s’en emparer, pour les trancher à temps. Et le but était assez intéressant, assez noble peut-être, pour qu’on n’hésitât point à faire litière des considérations de convenance ou de dignité personnelle. — Rester, voir, empêcher : voilà ce que voulait l’hôte de M. de Buttencourt et ce qu’il avait le droit de vouloir, quoique haineux et congédié.