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Quoi qu’il en soit, Real n’avait pas tardé à se sentir entraîné hors de l’orbite universitaire par un impérieux besoin intellectuel d’affranchissement et d’indépendance, plus encore que par ses goûts et ses passions. Comme beaucoup d’hommes de sa génération, — celle qui est venue à la vie de l’esprit dans les dernières années du second empire, — il penchait délibérément vers le naturalisme scientifique, auquel de récentes traductions des œuvres de l’école allemande avaient donné naguère un regain de jeunesse en le vulgarisant. C’est dire que, tôt ou tard, il devait y avoir divorce entre le professeur et l’Université, puisque celle-ci ne saurait guère accorder droit de cité chez elle qu’au matérialisme ambigu ou discret. Le jeune agrégé n’avait donc qu’à s’en aller. Seulement, au lieu de prendre la porte, il préféra, mû par un ardent désir de confesser sa foi (l’athéisme a ses néophytes) et peut-être aussi par un inconscient appétit de réclame, il préféra briser les vitres et cortir par la fenêtre, — ce qui lui arriva après de retentissans démêlés avec les autorités constituées ou une partie d’entre elles.

Car il y avait eu du tapage, à propos de certaine apologie magistrale des principes de la philosophie naturaliste, apologie prononcée ex cathedra, mais en présence d’un grand concours de profanes. En effet, le bruit s’étant répandu par la ville que le jeune agrégé avait un joli talent de parole et un bon tailleur, qu’il était assez bien de sa personne et ne manquait pas d’esprit, — toutes choses qui facilitent singulièrement aux dames l’intelligence de la métaphysique, — on avait décidé, dans les cénacles féminins et lettrés de la société nancéenne, où l’on avait toujours fort prisé ces hautes spéculations, que l’on renouerait une tradition rompue par la mort de l’ancien titulaire de la chaire qu’occupait M. Réal en qualité de suppléant. Et voilà que cet auditoire de choix avait dû subir un magnifique, mais austère et affligeant exposé des données les plus récentes de la science « matérialiste et athée, » comme on dit encore en province et quelquefois aussi à Paris même. D’où grand tumulte et caquetage effréné, tumulte de salon bouleversé, caquetage de volière effarouchée; mais enfin, scandale. Les supérieurs hiérarchiques de M. Réal avaient protesté ; la presse s’était émue ; le ministère, interpellé, avait failli choir, — grâce à l’incurable spiritualisme des centres, qui, pour la circonstance, avaient fait cause commune avec les droites. — De sorte que l’auteur de toute cette agitation avait dû se retirer, à la fin, comme contraint et forcé ; mais, au fond, très modérément marri de l’aventure.

Il était désormais célèbre : le coup de grosse caisse ou de cymbales, cher aux Français, l’avait consacré. On ne lut guère toutefois son premier ouvrage, dont le titre était, à la vérité, un peu