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Zambèze. Elle reçoit surtout de l’Angleterre, en Europe, dans la mer du Nord, la petite île d’Héligoland, qui lui est cédée, qui est depuis longtemps l’objet de la convoitise allemande. D’un autre côté, l’Angleterre a sa large part dans la distribution du butin africain. Elle garde le vaste territoire d’Uganda, la zone de Witu et des Somalis, la côte de Zanzibar. Elle « assume, » avec l’assentiment de l’Allemagne, le protectorat du sultanat de Zanzibar. Tout cela, il faut l’avouer, s’est fait un peu sans façon et peut passer pour une suite assez singulière, assez inattendue de la croisière entreprise en commun, il y a quelques années, sous le prétexte humanitaire d’assurer la répression du trafic des esclaves ! On part pour réprimer la traite des noirs, on s’empare d’un continent !

Chose curieuse ! Au premier moment, ce traité, qui paraît être l’orgueil des négociateurs, n’a satisfait l’opinion ni en Allemagne ni en Angleterre. Il a tout au moins provoqué dans les deux pays les plus vives critiques. Les Allemands, passionnés pour la politique coloniale, se sont récriés contre les concessions faites par leur gouvernement à l’Angleterre, contre l’abandon des positions conquises en Afrique. Il y a aussi des Anglais qui ont accusé leur ministère d’avoir fait des concessions dures pour la fierté britannique et tout sacrifié pour plaire à la puissante Allemagne. Depuis quelques jours on dirait que cette impression première commence à s’apaiser, qu’on en revient à un sentiment plus calme ou plus calculé de la réalité des choses.

Au fond, dans cette convention, œuvre de la puissance et de la force, il y a deux points saillans : la cession d’Héligoland à l’Allemagne en Europe et l’institution du protectorat de l’Angleterre à Zanzibar sur la côte orientale d’Afrique. Héligoland, c’est le prix du traité pour l’Allemagne ! Conquise par les Anglais en 1807, gardée par eux en 1815 comme un poste avancé dans la Mer du Nord, cette petite île a-t-elle une valeur stratégique ? Les marins allemands n’en doutent pas ; ils ont dit plus d’une fois que la possession d’Héligoland pouvait rendre inaccessibles les côtes allemandes, que ce petit îlot placé en face des débouchés des fleuves de l’Allemagne, de l’Elbe, du Weser, pourrait devenir le boulevard de la défense maritime de l’empire. L’importance d’Héligoland, fût-elle exagérée, n’existe pas moins, et l’empereur Guillaume n’a point été certainement insensible à l’avantage de retrouver ce rocher dépendant de l’empire, dût-il le payer de quelque concession en Afrique. N’y eût-il qu’un succès moral, il s’y est attaché et a saisi l’occasion de satisfaire un désir allemand. Les ministres de la reine Victoria, qui naguère encore protestaient contre le soupçon de vouloir céder Héligoland, les ministres de la reine à leur tour n’ont point hésité à accomplir cette cession dès qu’ils y ont vu un avantage, dussent-ils s’exposer à une dangereuse impopularité. L’avantage pour les Anglais, comme le disait récemment un journal de Londres, c’est de se