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sa propre expression, l’œuvre aussi de « la justice criminelle. » On peut donc se flatter que de certaines réformes pénitentiaires, qui tendraient en principe à l’amélioration ou à l’amendement du criminel, ne sauraient manquer d’aider à la diminution de la criminalité. « L’expiation a été la principale forme que l’utilitarisme pénal a d’abord revêtue. La forme secondaire, devenue principale plus tard, a été l’exemplarité. La dernière sera l’amendement, dans la mesure où il sera possible. En d’autres termes, le premier grand avantage qu’on attende de la peine a été de donner à la masse des honnêtes gens la satisfaction de se sentir dégagés de toute complicité avec le criminel… Le second a été d’inspirer à ceux qui auraient envie de marcher sur les traces du malfaiteur un salutaire effroi. Le troisième sera, quand il se pourra, d’améliorer le coupable. »


Il me reste à dire qu’en essayant de résumer en quelques pages la Philosophie pénale de M. Tarde, je n’ai pu donner qu’une très faible et très vague idée de l’intérêt du livre et de l’ingéniosité de l’auteur. Si je sais en effet peu de livres qui soient plus pénibles, plus difficiles, plus durs, comme on le dit, à lire et parfois même à entendre, que ceux de M. Tarde, je n’en connais guère qui soient en revanche plus instructifs, et, chaque fois que l’on y retourne, où l’on trouve plus à penser. Histoire et littérature, anthropologie ou linguistique, morale, science et philosophie, M. Tarde touche à tout, sous prétexte de sociologie, et de là quelque confusion, ou plutôt quelque embarras de se reconnaître parmi tant de richesses ; mais aussi il ne touche à rien qu’il ne l’éclaire d’une lumière nouvelle, originale et inattendue. Critique sagace et inventeur subtil, je le compare à ce savant et profond Cournot, qu’il cite quelquefois, et à la mémoire trop oubliée duquel il dédiait récemment son livre sur les Lois de l’imitation. Espérons qu’il sera plus heureux que Cournot, et puisqu’enfin nous n’écrivons que pour être lus, souhaitons à la Philosophie pénale et aux Lois de l’imitation plus de lecteurs que n’en eurent jadis, que n’en ont encore aujourd’hui les Considérations sur la marche des idées dans les temps modernes et le Traité de l’Enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et dans l’histoire.


F. BRUNETIERE.