que, dans une large mesure aussi, les sensations brutes fournies par le corps et la nature extérieure aient été profondément élaborées par les conversations, par l’instruction, par la tradition, et converties de la sorte en un ensemble d’idées précises, de jugemens et de préjugés conformes, en majorité, aux croyances d’autrui, au génie de la langue, à l’esprit de la religion ou de la philosophie dominante, à l’autorité des aïeux ou des grands contemporains… »
Voilà pour la similitude sociale. M. Tarde n’a pas de peine à montrer que la définition ou l’idée qu’il en donne est conforme à ce que nous apprend l’histoire. N’est-ce pas la tribu tout entière, dans les temps primitifs, que l’on a commencé par rendre responsable du crime de l’un de ses membres ? N’est-ce pas ensuite la famille, et non-seulement la femme ou les enfans du criminel, mais ses ascendans et ses collatéraux « jusqu’au neuvième degré » dans de certaines législations ? Mieux que cela, encore aujourd’hui même, l’opinion populaire ne fait-elle pas trop souvent rejaillir la honte au moins du crime sur ceux que leur profession ou leur condition rend « semblables » pour elle à ceux qui l’ont commis ? Mais je renvoie pour la théorie générale, dont il ne fait ici qu’une application plus particulière, au livre de M. Tarde sur les Lois de l’imitation, et j’arrive à l’identité personnelle.
S’il était, en effet, démontré que la foi que nous avons dans notre propre identité n’est qu’un rêve, et comme le dit M. Tarde, si jamais on prouvait, « que notre prétendue personne est une entité, comme un fleuve, dont la persistance identique sous le changement de ses eaux n’est qu’un nom, » la similitude sociale ne servirait de rien, et la responsabilité personnelle ne serait qu’une chimère. Mais, au contraire, plus nous y réfléchissons, plus notre individu nous apparaît à chacun comme étant beaucoup plus qu’une somme d’états de conscience successifs, et, en dépit de certains savans, vraiment « une vivante unité. » Ou, si l’on veut encore, ces états de conscience, qui peuvent paraître à l’observateur superficiel indépendans les uns des autres, et causés du dehors, par des interventions dont nous ne saurions nous rendre maîtres, sont reliés entre eux par la tendance qu’ils révèlent vers un but identique, et ce but, c’est précisément la constitution du moi. « Les perceptions et les mouvemens, les raisonnemens suivis de conclusions et les délibérations suivis de décisions ne sont que le Moi en train de se faire… Notre personnalité s’accentue dans la mesure où elle s’affirme, et l’identité parfaite de notre Moi se réalise de mieux en mieux à chaque pas fait dans la voie de la logique et de la finalité. De plus en plus l’homme d’étude s’absorbe dans son idée mère, l’homme d’action dans son but majeur, l’artiste dans sa nuance de beauté propre. La personne ainsi se fortifie, la physionomie se creuse, et le fondement de la personnalité va se consolidant. » Ce qui revient à dire que, de