épousée ; il affecta bientôt de la négliger et lui refusa jusqu’aux égards qui consolent de l’amour perdu. Cependant elle ne se plaignait pas. « Bien au contraire, nous dit le marquis Costar l’admirable princesse jouait l’enfantine comédie d’un bonheur parfait, si parfait vraiment qu’un jour qu’elle avait dit gaîment qu’elle passait chez le prince, ses dames, restées au salon, virent pendant plus d’une heure sa robe prise dans le battant de la porte. Sans doute elle avait passé cette heure-là à prier. » Quand il n’était que prince royal, il maudissait l’étiquette ; devenu roi, il s’en fit une religion, et les murailles de son palais de Turin suintaient l’ennui. « Il y a quelques jours, écrivait la marquise d’Azeglio, la duchesse de Savoie a été prise d’une curiosité excessive de voir les boutiques des portiques. Elle s’est adressée au roi, qui l’a refusée. Mais c’était apparemment une envie de grossesse qu’il fallait satisfaire à tout prix, car, malgré tous les refus, elle s’est bien voilée, bien encapuchonnée, et les voilà partis, elle et son mari. Ont-ils mangé des petits pâtés chez Basso ou se sont-ils contentés de les regarder ? C’est sur quoi on n’est pas d’accord. Ce qui est plus positif, c’est qu’en rentrant chez eux, les malheureux, le roi a envoyé Victor aux arrêts. » Il semblait parfois que son cœur se fût pétrifié, qu’il accomplît en automate les devoirs qu’il s’imposait, et on pouvait dire de lui qu’il n’y avait rien de plus aride que ses bonnes grâces. Dans la guerre de 1848, il visita plus d’une fois les hôpitaux ; impassible, rigide, la figure froide et sèche, l’ennui dans les yeux, il allait de lit en lit, adressant à chaque malade trois phrases apprises, auxquelles il ne changeait pas un mot. C’est le même homme qui, en 1845, avait posé ses deux mains sur les épaules d’Azeglio et l’avait embrassé en lui promettant de sacrifier à la cause italienne sa vie, ses enfans, ses trésors, son armée. « Ah ! ce baiser ! lit-on dans les Souvenirs du marquis, il avait quelque chose de si froid, de si funèbre, qu’il me glaça. »
Les sphinx d’Egypte sont de mystérieux personnages, mais ils ne sont pas sournois. Ils gardent leur secret, ils ne cherchent pas à surprendre le vôtre ; s’il vous plaît de le leur confier, ils ne vous trahiront point, l’univers ne saura rien. Enveloppés comme eux de mystère, certains princes sont des confidens plus dangereux : Massimo, non ti fidar ! Charles-Albert était incapable de perfidies calculées. Les ambiguïtés de sa conduite, que les Italiens lui ont tant reprochées en vers comme en prose, tenaient à l’inconsistance de son caractère. Sa volonté et son esprit n’étaient pas sûrs de leurs lendemains ; le moyen de compter sur un prince qui lui-même ne pouvait compter sur lui ! Il faut accorder à son spirituel biographe « qu’il eut cette sincérité propre aux imaginatifs, et qu’un philosophe appelait la sincérité momentanée. » Dès sa jeunesse, il a l’humeur mobile, ondoyante, inquiète autant que chagrine ; ses goûts sont versatiles, rien ne peut le fixer, et Sylvain Costa,