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Saint-Barthélémy, Henri IV se donna l’air de renier ses amis et de se réconcilier avec leurs assassins. Il entra dans des intrigues qu’il réprouvait, se rendit complice d’entreprises qu’il condamnait, mit sa main dans des mains sanglantes qui lui faisaient horreur. Dès qu’une dure nécessité ne pesa plus sur lui, dès qu’il put se reprendre, s’appartenir, il jeta le masque, et les huguenots reconnurent le visage qu’ils aimaient. Il s’était acquis une réputation de faiblesse et d’hypocrisie ; il en appela et fut absous. C’est qu’Henri IV avait l’âme grande et généreuse ; sa grâce fut la plus forte. Malheureusement pour Charles-Albert, il était le moins généreux des hommes. Son biographe en convient : « Il fallait, nous dit-il, que son âme fût née avec une plaie, et que, par cette plaie, se fussent échappées toutes les sèves heureuses de la vie. De là cette anémie du cœur qu’on lui a tant reprochée et dont parfois ses plus fidèles se plaignaient. « Selon les cas, les malheurs précoces attendrissent ou dessèchent le cœur. Charles-Albert était un de ces tristes qui n’aiment rien ni personne.

Il n’avait pas attendu d’avoir vingt ans pour régler son compte avec les hommes et avec la vie. « Je connaissais peu mon nouveau seigneur, écrivait son écuyer Sylvain Costa, et il m’avait été conté qu’il était fin à l’excès et peu scrupuleux parfois à compromettre les naïfs qui y allaient avec lui trop simplement. Je ne tardai pas, en effet, à m’apercevoir qu’il me tâtait et cherchait le défaut de ma cuirasse. Comme j’y savais plusieurs défauts, je les tamponnais de mon mieux. » Sylvain nous apprend encore qu’un trait caractéristique de son seigneur, « qui, ne voyant guère que le côté ridicule ou mauvais des gens et des choses, » donnait des sobriquets à tout le monde et appelait l’un don Grognard, l’autre don Pissard, était son invincible répugnance pour toute conversation générale. « Il avait de perpétuels chuchotemens, des tête-à-tête dans tous les coins, si bien que vingt personnes contre une pouvaient toujours croire qu’on se moquait d’elles… On voit que mon prince n’était pas parfait, » concluait Sylvain ; mais il ajoutait que ce jouvenceau, qui se piquait de connaître les hommes, était, en revanche, fort naïf dans ses relations avec les femmes. « Pas une ne le regardait qu’il ne la crût aussitôt amoureuse folle de lui. Dès qu’un astre nouveau se montrait, c’était vers ce point de l’horizon que se dirigeaient nos chevauchées. On caracolait, on saluait avec grâce, et, dans la moindre révérence rendue du haut d’un balcon, on voyait les déclarations de l’amour le plus passionné. » Il n’eut jamais que des fantaisies, jamais il ne s’est donné. Il a confessé, dans un moment de franchise, qu’il n’était sûr de lui ni en politique ni en amour.

On eût dit qu’il se soulageait de ses souffrances en faisant souffrir tout ce qui l’entourait. Pendant quelques semaines, il aima en tourtereau la fraîche et blonde archiduchesse de Toscane qu’il avait