Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soupçonnera toujours d’équivoque ; ses sermens, sa parole de gentilhomme ne valent plus leur prix, l’or s’est changé en plomb, et quand sa bouche dira oui, on croira lire un refus dans son regard. Il a rompu avec ses amis, et pourtant son oncle Charles-Félix doutera, jusqu’à la fin, de son repentir : « Alors même qu’il ferait toutes les pénitences d’un anachorète et se donnerait la discipline jusqu’au sang, on ne pourrait encore regarder sa conversion comme sincère… Ses grandes moustaches sont plus d’un carbonaro que d’un converti. Dieu seul voit les cœurs. Il peut avoir opéré le miracle de sa conversion, mais il n’a pas encore fait celui de m’en rendre convaincu. » Si malgré les marques de soumission qu’il lui donne, son oncle demeure incrédule, les libéraux italiens, avec qui il renouera dans les dernières années de sa vie, douteront aussi. « Pendant que le roi me parlait, raconte d’Azeglio dans ses Souvenirs, j’en étais réduit à me redire sans cesse : Maxime, délie-toi ! Massimo, Massimo, non ti fidar ! »

Dès l’âge de trente-trois ans, il ressemblait à un négociant qui a compromis son crédit dans de fâcheuses spéculations : il est au-dessous de ses affaires ; désormais il travaillera jour et nuit, non dans l’espérance de faire fortune, mais pour payer sa dette et dégager son honneur. Hélas ! quoi qu’il puisse dire ou faire, on se défie. En vain prouvera-t-il, dans la campagne de 1848, que par son intrépide bravoure il est un vrai prince de Savoie. En vain s’amuse-t-il « à regarder les canons sous le nez. » En vain, pendant le siège de Peschiera, viendra-t-il au pas de son grand cheval isabelle se croiser les bras en face d’un bastion autrichien et se mettre là, « en espalier, » jusqu’à ce que deux ou trois boulets lui aient effleuré le visage. Selon la forte expression de son biographe, « il avait devant la mort toutes les tristesses d’un amant dédaigné. » Il n’importe, le soupçon maudit le poursuit toujours. Il a joué une fois un double jeu, il s’est laissé prendre, et toute sa vie il passera pour un homme à double face. « Quoi que je fasse, disait-il mélancoliquement, jamais l’Italie n’aura confiance en moi. » Mazzini, traitant avec ce roi, lui fera le suprême outrage d’exiger un engagement écrit. Que sera-ce quand il aura perdu la partie ! A peine a-t-il repassé le Mincio, on lui crache l’injure au visage : « A bas l’Autrichien ! A bas le traître ! Mort à celui qui nous livre à l’Autriche ! » Un homme affolé, monté sur un cheval sans bride et sans selle, court ventre à terre les rues de Milan en criant : « Trahison ! trahison ! » Après Novare, il prouvera sa bonne foi en abdiquant, et cette fois on l’en crut ; mais il était bien tard, il ne lui restait plus qu’à mourir. Destinée vraiment cruelle ! Ce roi de Piémont avait un orgueil immense, et il n’avait pas le droit d’être fier.

L’histoire nous montre des souverains qui ont commis des actions douteuses et n’ont pas eu de peine à effacer leur tache. Après la