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marquis Costa, déjà connu par son histoire si goûtée d’un Homme d’autrefois, a trouvé dans les archives de Beauregard de précieux documens pour composer son nouveau livre ; les archives de Faverges, de Sonnaz lui en ont fourni d’autres. Personne n’en pouvait tirer un meilleur parti que lui. Il y a beaucoup d’action dans sa manière d’écrire ; sa plume est vive, alerte, et au mouvement, à la verve, il joint le don de la couleur. Je connais peu de lectures plus attachantes que celle des deux volumes qu’il a intitulés le Prologue et l’Épilogue d’un Règne[1].

Il était amoureux de son sujet, et il est bon qu’un historien soit amoureux ; mais il ne faut pas que son amour soit crédule. Le chevalier Sylvain Costa, qui fut l’un des premiers écuyers du prince Charles-Albert de Carignan, écrivait dans son journal : « Au bout de quinze jours, mon opinion était faite ; j’étais convaincu que j’aimerais mon prince, mais qu’il importait avant tout que cet amour-là ne portât pas de bandeau. » L’affection qu’a vouée le marquis Costa au souverain qu’ont servi ses ancêtres ne porte pas non plus de bandeau. A la vérité, il a succombé plus d’une fois à la tentation de grandir outre mesure son héros. Dans l’occasion, il le traitera « de grande âme qui a soif et faim de justice, » ou il le comparera à l’un des grands sphinx du désert égyptien, ou, chose plus étonnante encore, il ne craindra pas de le rapprocher du prince Eugène. Ne vous laissez pas prendre à ces coquetteries de sa plume. Dans le fond, il sait fort bien à quoi s’en tenir, et que personne n’eut moins de génie que Charles-Albert. Grattez la métaphore, grattez l’hyperbole, la vérité est dessous. « Ma sincérité à raconter les grandeurs et les défaillances de cette âme douloureuse, a-t-il pu dire en conscience, continuera ici une tradition. Chez nous, au service du prince, le franc parler a toujours égalé le dévoûment. Comme Montluc avec son roi Henri IV, « le cul sur la selle, on était compagnons. » Les grandes souffrances transfigurent les hommes les plus ordinaires, et le marquis Costa s’est fait quelquefois le courtisan du malheur ; mais tournez la page, il s’est remis en selle, et c’est le compagnon qui parle : ses aveux dussent-ils lui brûler les lèvres, il vous dira tout ce que vous désirez savoir, et vous n’aurez que la peine de conclure.

C’est une grande épreuve pour un roi que de vivre dans des temps troublés où il ne peut résister à son peuple sans exposer sa couronne, ni lui rien céder sans manquer à sa parole ou sans compromettre sa dignité. C’est un malheur que de haïr la révolution et tour à tour de

  1. Prologue d’un règne ; la jeunesse du roi Charles-Albert, par le marquis Costa de Beauregard. Paris, 1889. — Épilogue d’un règne : les Dernières années du roi Charles-Albert. Paris, 1890 ; Plon.