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à M. Rodin, il n’est guère représenté que par des esquisses d’une saveur originale. La plus intéressante partie de cette exposition un peu brève consiste en bustes et études d’expressions, quelques-uns fort remarquables, la plupart empreints d’un sentiment très vit et très délicat de la vie contemporaine, qui sont dus à MM. Jean Baffier, Alfred Lenoir, Ringel, Mme Charlotte Besnard.

Quelles conclusions tirer de cette rapide étude ? C’est que, d’une part, les sculpteurs, en masse, conservent une idée plus nette que les peintres de la dignité de leur art et des exigences de leur métier, et que, protégés peut-être par leur isolement et leur impopularité, ils subissent, moins que leurs confrères, les entraînemens de la mode et les étourdissemens de la vanité. C’est que, d’autre part, ils donnent, à ces confrères inquiets, l’exemple utile du sang-froid dans les recherches et de la prudence dans les innovations, leur prouvant de toutes parts, au Champ de Mars comme aux Champs-Elysées, qu’il est possible de réaliser un idéal nouveau, l’idéal le plus moderne, par les moyens traditionnels, sans faire ce marché de dupe qui consiste à renoncer d’abord à toute la science acquise dans l’espoir de reconstituer, de toutes pièces, une science nouvelle. La scission actuelle, en mettant à nu plus ouvertement l’absence de principes sérieux chez les soi-disans novateurs et l’inanité des résultats obtenus en dehors de la recherche studieuse et sincère par les moyens connus, aura contribué, sans doute, à faire triompher la vérité. Il n’est point à désirer que cette scission s’éternise, ni dans l’intérêt de l’art, pour lequel des expositions moins nombreuses et plus choisies sont toujours plus utiles, ni dans l’intérêt des artistes, qui perdraient autant à disséminer leurs ressources qu’à fatiguer le public de leurs petites discordes. Nous espérons donc, l’année prochaine, retrouver tous les artistes réunis encore sur le même terrain. Quoi qu’il advienne dans cette crise passagère, comme dans tant d’autres qui l’ont précédée, les sculpteurs auront eu l’honneur de garder intacts les principes sur lesquels reposent la force et la beauté de l’art ; ce n’est pas la première fois qu’ils auront sauvé l’art français.


GEORGE LAFENESTRE.