Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diadèmes, sceptres et joyaux, elle se laisse admirer, sans pruderie comme sans minauderie, sans pensée comme sans prétention, dans tout l’éclat frais de sa jeunesse, vive, élégante et fine. La main gauche pendante, elle laisse traîner l’autre avec indifférence sur le long cou d’un paon perché à son côté, sur une autre pile de nuages. Le paon, à vrai dire, est un oiseau plus pittoresque que sculptural et qui perd le plus sûr de son charme en perdant ses couleurs. Il a fallu toute l’habileté de M. Falguière pour tirer parti de cette longue queue massive et pour en ajuster presque harmonieusement la désagréable silhouette avec les silhouettes voisines de la figure et des nuages. Dans les parties basses, le groupe semble un peu évidé et ne présente qu’à peine cette solide distribution des masses qui doit rassurer le regard dans les œuvres de matière blanche et friable, le marbre et la pierre. Ici, le sculpteur s’est laissé tromper par le peintre. Où le sculpteur reparaît, avec toute la souplesse et la dextérité de sa main, toute la vivacité et la spontanéité de ses sensations, c’est dans l’exécution de la jeune déesse. L’outil alerte de M. Falguière a rarement travaillé le carrare avec pareil amour et pareille joie. Le marbre, sous son ciseau, devient, en vérité, de la chair vivante et frémissante. Le corps tout entier, souple et nerveux, est modelé avec une précision incomparable qui fait oublier l’angle disgracieux formé par l’écartement des jambes. On ne remarque pas non plus l’insignifiance expressive de la tête, petite tête parisienne, coiffée à la mode, avec sa mince chevelure relevée sur la nuque et plaquée sur le front, quand on voit cette petite tête sans cervelle si vivement tournée. L’idéal que le sculpteur s’est fait de la beauté féminine, en sculptant ce joli morceau, ne dépasse pas l’idéal mondain de notre temps ; c’est une beauté délicate et soignée, élégante et dédaigneuse, d’une élégance qui n’a plus rien d’héroïque ni presque d’aristocratique, d’une grâce aimable, mais si impersonnelle et si convenue qu’elle ne saurait pénétrer bien avant dans les âmes. Je m’imagine que, dans l’avenir, les déesses déshabillées de M. Falguière, comme les déesses en falbalas de Coustou et les déesses poudrées de Houdon, feront, avec le même charme, comprendre à nos arrière-neveux comment la société polie de son temps, les hommes de loisir et les femmes de plaisir, s’imaginaient la beauté idéale. Cela ne rappelle en rien les majestés robustes de l’antiquité romaine, ni les hautaines élégances de la renaissance ; c’est plus petit et plus frêle ; mais c’est toujours un rare et grand mérite de réaliser l’idéal de ses contemporains, quel qu’il soit ; le succès qu’obtient M. Falguière nous peut faire penser qu’il y est arrivé.

La Tanagra seule de M. Gérôme rivalise, dans la faveur publique,