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sujet qu’il préfère et consacre autant de temps qu’il veut à le traiter ; et l’on a remarqué que c’est l’année la plus profitable de toutes, celle où l’originalité des esprits se dégage et dont on garde dans la suite le plus long souvenir. Pour que l’enseignement de nos facultés de lettres et de sciences soit fécond, il faut qu’il s’établisse chez elles quelque chose d’analogue et qu’elles ne se contentent pas d’être ce qu’en avaient fait les jésuites, une rhétorique et une philosophie supérieures.

Ce sont précisément les changemens qu’on annonce et qu’on va réaliser qui leur font, à ce qu’il me semble, un devoir impérieux d’être autre chose : dans l’organisation des universités nouvelles, elles ont un rôle particulier à prendre. Placées à côté des facultés de droit et de médecine qui sont, de leur nature, des écoles professionnelles, il faut bien qu’elles se distinguent d’elles, quand ce ne serait que pour avoir une raison d’exister. Pourquoi, par exemple, les facultés des sciences enseigneraient-elles les mêmes matières que les facultés de médecine, la physique, la chimie, l’histoire naturelle, si ce n’était pas pour les enseigner autrement ? N’est-il pas naturel qu’elles s’occupent moins des applications que de la théorie, qu’elles donnent un caractère plus élevé, plus strictement scientifique à leurs leçons ? De cette façon les deux enseignemens se complètent au lieu de se confondre. L’un donne à l’étudiant les connaissances qui lui sont indispensables pour sa profession, l’autre lui montre discrètement ce quelque chose au-delà qui fait les inventeurs et qu’il est salutaire d’avoir entrevu un moment, même quand on ne doit pas dépasser la ligne commune. Je ne crois pas nécessaire de démontrer que les facultés de lettres peuvent rendre des services du même genre à l’étudiant en droit. Est-il besoin de prouver qu’il lui sera utile, pour pénétrer dans l’intelligence des lois, de connaître à fond la langue dans laquelle elles sont écrites, le temps où elles ont été rédigées, la société pour laquelle on les a faites, c’est-à-dire d’avoir touché à la philologie, à l’épigraphie et à l’histoire ? — Voilà la tâché réservée aux facultés de sciences et de lettres ; et l’on voit bien qu’elles ne pourront l’accomplir que si elles font, dans leur enseignement, une très large place à la science.

Tout ce que je viens de dire, je le crains bien, n’intéressera guère que les gens du métier. Qui sait pourtant ? l’éclat des fêtes de Montpellier et la part que tout le monde y a prise semblent bien indiquer que chez nous les questions qui concernent l’enseignement public ne laissent personne indifférent.


GASTON BOISSIER.