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l’enseignement public, c’est beaucoup trop. Le nombre des places à donner n’est plus en rapport avec celui des gens qui les demandent et qui auraient quelque droit à les obtenir. Il est à craindre, ou bien qu’on se détourne d’études qui ne mènent plus à rien et que la clientèle des facultés diminue, ou que le nombre des licenciés sans emploi n’augmente de plus en plus, et qu’il ne se forme, autour des chaires de nos collèges et de nos lycées, une population de déclassés, comme celle qui, à Paris, assiège les abords des écoles primaires[1]. En attendant qu’on trouve au mal un remède efficace, ce qui ne sera pas aisé, la situation fait un devoir à nos professeurs de ne pas l’accroître et de se montrer plus difficiles que jamais à l’examen des boursiers et à la licence.

Jusqu’ici j’ai raisonné comme si nos facultés de lettres et de sciences n’étaient faites que pour préparer à des examens ; ce n’est là qu’une partie de leur tâche et non pas la plus importante. Peut-être l’a-t-on un peu oublié dans ces dernières années. Quelques professeurs ont clos leur porte au public pour s’enfermer tête-à-tête avec les candidats et ne s’occuper qu’à corriger leurs devoirs et à leur faire expliquer leurs auteurs. Ce zèle intempestif ne doit pas être encouragé. La préoccupation des examens est devenue le fléau de notre enseignement à tous les degrés. On sait ce qu’elle a fait des classes de nos lycées, qui ne sont presque plus que des officines de baccalauréat ; ne laissons pas notre enseignement supérieur devenir uniquement une fabrique de licenciés. Si c’est là que doivent aboutir le travail accompli et l’argent dépensé depuis quinze ans, le résultat sera médiocre. Ce qui fait la force des universités allemandes, c’est que l’examen n’y a aucune importance. L’éducation y est plus large et plus libérale : chacun cherche à former et à meubler son esprit. L’étudiant ne s’y prépare pas seulement pour l’épreuve du lendemain, mais pour toute la vie. Il côtoie toutes les connaissances humaines pour choisir celle qui lui convient le mieux et à laquelle il doit spécialement se consacrer. L’étude qu’il a faite de toutes les autres lui donne une idée générale de la science qui lui servira de guide dans les travaux particuliers qu’il entreprendra plus tard. Dans notre École normale, entre la première et la troisième année, qui sont occupées à préparer la licence et l’agrégation, la seconde a ce caractère qu’aucun examen ne la termine. Chacun y travaille en liberté : le professeur développe à son gré une partie de l’histoire des littératures, l’élève choisit le

  1. Si, comme le demande la commission du budget, l’École normale de Cluny est supprimée, les facultés seront amenées à préparer les candidats à l’enseignement spécial, comme elles préparent déjà ceux de l’enseignement classique. Il est bien souhaitable, dans ce cas, que les épreuves soient rendues les mêmes pour tous.