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songe à la contester. Dans tous les cas, la création des universités provinciales lui sera utile. Là, comme partout, c’est l’union qui fait la force. Quand nos facultés formeront un corps compact et serré, chacune d’elles profitera de l’importance des autres, et toutes ensemble se feront mieux respecter. L’indépendance scientifique comporte non-seulement la liberté des opinions, mais, jusqu’à un certain point, celle des méthodes. En principe, il doit être admis qu’un professeur de faculté doit enseigner, sous le contrôle de l’État, ce qu’il veut, comme il le veut. Par malheur, cette liberté n’existe guère aujourd’hui. Comme la principale occupation des facultés consiste à préparer à la licence et à l’agrégation, et que ces épreuves sont réglées par des programmes que dresse le ministre, il s’ensuit que tous les maîtres sont obligés d’expliquer les mêmes auteurs et de traiter les mêmes questions. C’est une gêne dont ils se plaignent et qu’on fera bien d’alléger. Le conseil général des facultés de Paris a entendu récemment un rapport de M. Lavisse qui signale le mal et en propose quelques remèdes. Je crois qu’il ne sera pas difficile de les appliquer.

Les facultés de droit et de médecine ont cet avantage que leur recrutement est assuré. Il y aura toujours des médecins et des avocats, et ils seront bien obligés d’aller apprendre leur art où on l’enseigne. La situation des facultés de lettres et de sciences est moins bonne. Pour vivre, il leur faut des élèves, et elles vont les prendre d’ordinaire parmi les jeunes gens qui se destinent à enseigner. Mais ce public auquel elles s’adressent est en France plus restreint qu’ailleurs. Une partie des maisons d’éducation où s’élève la jeunesse française appartient au clergé, et en général les professeurs des-collèges ecclésiastiques n’étudient pas chez nous. Il nous reste, il est vrai, les futurs maîtres des établissemens de l’État, mais parmi ceux-là même il en est beaucoup qui n’ont pas les ressources nécessaires pour fréquenter nos facultés. On a eu l’idée, pour leur en fournir les moyens, d’instituer, depuis quelques années, des bourses de licence et d’agrégation. La mesure n’était pas nouvelle, puisqu’on peut la faire remonter jusqu’à l’empereur Alexandre-Sévère : un historien nous dit qu’après avoir créé beaucoup d’écoles il donna des pensions à des enfans pauvres pour les y attirer. C’est aussi aux boursiers que les universités du moyen âge, en particulier celle de Paris, ont dû surtout leur prospérité. De pieux personnages y avaient fondé des collèges, où l’on recevait quelques étudians pour rien, et l’on avait remarqué que ces pauvres écoliers, nourris par charité et qui attendaient tout d’eux-mêmes, étaient d’ordinaire les plus zélés, les plus laborieux de tous, ceux d’où sortaient les maîtres les plus savans, et qui arrivaient aux plus hautes dignités de l’église. Il y a eu des boursiers aussi dans