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canon. Mais aussi que de joie, quel orgueil, quand on est parvenu à conquérir ce titre envié ! La cérémonie qui le confère est une véritable scène de triomphe, et en porte le nom (actus triumphalis). Le vainqueur est installé dans la chaire, aux sons de la cloche de l’université. Il est embrassé, complimenté, harangué par ses collègues, il reçoit l’investiture par le livre, l’anneau, le bonnet, aux applaudissemens de l’assistance : le voilà devenu un personnage. Le code théodosien contient une loi d’un empereur qui accorde le rang de comte aux maîtres qui ont honorablement enseigné pendant vingt ans. Nos docteurs du moyen âge s’en souviennent, et ils n’hésitent pas à s’attribuer le bénéfice du décret impérial. Dans cette société où l’on n’a de place que par la naissance, ils créent hardiment une noblesse où l’on arrive par le talent et par le travail. Le professeur émérite, quelle que soit son origine, reçoit le titre de « comte en lois. » Quand il meurt, il est porté dans sa bière découvert, avec sa robe rouge par-dessus sa soutane noire, le gantelet aux mains, les bottes à éperons d’or aux pieds, l’épée au côté, ainsi qu’on le fait pour les chevaliers, tandis que ses élèves et ses collègues l’entourent et que toute l’université accompagne son cercueil. Comme son doctorat, ses funérailles sont encore un triomphe.

La Faculté de droit de Montpellier a compté des élèves et des maîtres illustres, parmi lesquels Guillaume de Nogaret, le célèbre chancelier de Philippe le Bel, Guillaume de Grimoard, qui fut pape sous le nom d’Urbain V, et Pierre de Luna, le Benoît XIII de la liste des antipapes. Pétrarque, encore jeune, y passa quatre ans, dont il aima toujours à se souvenir. Plus tard, dans sa vie agitée et voyageuse, il parlait volontiers de cette ville, où il avait été heureux. « Comme on y vivait tranquille, disait-il ! Que de richesses chez les marchands ! Quelle foule d’écoliers ! Quelle abondance de maîtres ! » Mais cette prospérité ne dura pas jusqu’à la fin. On la voit pâlir dès le début du XVe siècle. À ce moment, la France s’est couverte d’universités, qui se nuisent les unes aux autres. Montpellier n’avait pas trop à souffrir de la concurrence d’Orléans, de Poitiers, de Bourges, de Reims, qui étaient trop éloignées pour lui porter un préjudice sérieux ; mais Perpignan, Toulouse, Cahors, Avignon, Orange formaient comme une ceinture autour d’elle et arrêtaient les étudians au passage[1]. Qu’on ajoute à ces causes de ruine la guerre, la famine, la peste, qui désolèrent le pays pendant un siècle, et l’on comprendra comment la pauvre école de droit fut réduite à n’avoir plus que deux professeurs et

  1. Ils y étaient aussi attirés par la facilité des examens. On savait que, dans quelques-unes d’elles, les grades se donnaient, ou plutôt se vendaient, à bas prix. Aussi était-il à la mode de se moquer des « docteurs à la fleur d’orange. »