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genre, un style à lui, et qui n’ait laissé quelques œuvres d’un charme infini. Sous prétexte de représenter les sites chinois, ils ont vraiment créé une nature spéciale, pleine d’émotion et de poésie. En quelques coups de pinceau ils ont su nous rendre le calme des soirs d’été, le sommeil des plaines sous la neige, la douce mélancolie des brouillards estompant les collines ; et, pour voir traduit d’une aussi mystérieuse façon l’élément sentimental des spectacles naturels, il faut aller jusqu’aux Chintreuil et aux Corot, aux plus suggestifs poètes de la peinture contemporaine.


IV

Tous les peintres japonais du XVIe et du XVIIe siècle appartenaient de près ou de loin à l’une des deux grandes écoles rivales de Tosa et de Kano ; quelques-uns seulement semblent avoir cherché à prendre un moyen terme entre les deux manières et à concilier la pureté classique du dessin de Kano avec la richesse du coloris de Tosa. C’est ainsi que, au XVIIe siècle, M. Gonse cite parmi les indépendans un élève de Kano et un élève de Tosa, Shokouado, auteur d’esquisses d’un impressionnisme violent et bizarre, et le célèbre Sotatsou, un des plus grands coloristes japonais. Mais ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIe siècle que se sont formées d’autres écoles, pleinement affranchies des traditions de Tosa comme -de celles de Kano.

Le chef de l’une d’elles, Korin, était-il l’élève de Kano Jasounobou, comme le prétend l’école de Kano ou de Tosa Hirozumi, comme le veulent les partisans de Tosa, ou, comme on l’a dit encore, du peintre laqueur Koëtsu ? M. Gonse, qui a fait de Korin une étude très particulière[1], tendrait à admettre qu’il a reçu tour à tour les enseignemens les plus divers ; mais il est sûr que, avec l’étude des esquisses frustes et étranges de Shokouado, ce sont les leçons d’un maître laqueur qui ont dû contribuer le plus fortement à la formation du style de Korin, style tout décoratif, procédant par larges oppositions et visant toujours à la puissance du relief. Ajoutons cependant que la part des influences étrangères n’a jamais pu être bien vive sur un talent aussi franchement personnel, aussi décidé à ne tenir aucun compte des tendances contemporaines. C’est par cette individualité que Korin s’est imposé à l’admiration des critiques japonais et européens. Nulle trace chez lui de traditions subies, de règles observées ; ce qu’il peut imaginer de plus saisissant, il le traduit aussitôt, servi par une incomparable sûreté de main, sans

  1. Le Japon artistique, livraison de mars 1890.