combien trouvera-t-on de peintres européens, ceux-là exceptés, à qui cet élément intellectuel ait été bien profitable ? Il leur a manqué aussi le génie créateur qui invente les styles : mais ils ont eu le mérite d’imprégner d’une vie nouvelle les styles qu’on leur avait enseignés. Toutes les qualités de vision et d’exécution qui font les grands peintres classiques, ces maîtres japonais les ont possédées à un degré égal. Ils nous ont laissé du monde une image personnelle, vivante, variée. Ils ont eu pour les guider des principes qui nous sont étrangers ; mais leurs yeux n’étaient pas si différens des nôtres qu’il nous soit impossible de recréer les visions qu’ils nous ont si honnêtement traduites. Ils ont compris comme nous la pureté des lignes, l’harmonie des couleurs, les secrets du mouvement. Le dernier élève de nos collèges s’entend mieux qu’ils ne faisaient à tout ce qui est scientifique dans la peinture, l’anatomie, le clair-obscur, la perspective ; mais c’est à peine si les plus grands de nos peintres les égalent pour saisir la fugitive impression d’un moment, pour varier à l’infini les détails d’une composition, pour mettre au service de leurs yeux une main sûre et leste. Ajoutons que, autant que les plus grands d’entre nous, ces maîtres japonais, les Meïcho, les Motonobou, les Itchô et les Hokousaï, ont animé leurs figures d’expressions vivantes et concilié dans leurs paysages la vérité avec le sentiment. L’amour de la nature était si fort dans leurs âmes qu’il y faisait naître une adorable musique ; leurs peintures sont ce que devaient être, suivant un de leurs philosophes, tous les tableaux japonais : « des poèmes de forme et de couleur. » Certes, ces maîtres sont des exceptions et il ne faut pas moins que tout leur génie pour donner du prix à un art si empêtré dans les traditions. Mais leur génie est l’épanouissement suprême du génie de la race ; c’est par eux que s’est le plus complètement exprimée l’âme du Japon.
Peut-être même l’absence de l’élément intellectuel supérieur, tout en rabaissant la portée de leur peinture, a-t-elle contribué à la revêtir d’un caractère particulier de douce et naïve sérénité. Comprendre le monde, c’est risquer de le trouver moins bon et moins beau : ce malheur a toujours été épargné aux peintres japonais. Leur âme est restée jusqu’au bout tranquille, comme une âme d’enfant, et leurs œuvres ont été le reflet de l’innocente simplicité de leur vie.
Vie charmante, la mieux faite de toutes pour rendre facile le travail : nous en avons l’image dans une foule de gravures ou de dessins où les vieux maîtres se sont représentés vaquant aux détails de leurs occupations journalières.
Que l’on se figure, par exemple, l’heureuse carrière d’un peintre