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eux, un observateur pénétrant, M. Bousquet, se montre très sévère à leur égard. Dans leur vie privée comme dans leur histoire politique, il retrouve l’indice d’un tempérament inégal et sans consistance, d’une nature molle, capricieuse, toute au plaisir de la sensation présente. Il leur reproche d’être dissimulés, superficiels, incapables d’un travail suivi, plus adroits qu’intelligens et plus intelligens que moraux[1].

C’est ainsi que, suivant ceux qui nous en parlent, les Japonais nous apparaissent comme la plus vertueuse ou comme la pire des nations. Peut-être, cependant, leur caractère est-il simplement comme les autres un mélange assez complexe de qualités bonnes et mauvaises, et sous les jugemens moraux qui différent, peut-être n’y a-t-il pas une contradiction absolue dans les traits signalés.

Lorsque l’on avance dans l’étude des mœurs japonaises, lorsqu’aux témoignages des voyageurs on ajoute les renseignemens que fournissent la fréquentation des Japonais et la lecture de leur littérature nationale, on s’aperçoit sans cesse davantage que l’âme de ce peuple a toujours été une âme d’enfant. Ce n’est pas sans raison que l’enfance est entourée au Japon d’un culte spécial[2]. Ce qu’ils conservent d’enfantin dans leur figure, les Japonais le gardent aussi dans leur façon de vivre, leurs pensées et leurs sentimens. Jamais ils n’arrivent à une idée bien nette de leur personnalité, ni de ce qui, dans leurs idées, correspond ou non à la réalité. Ils s’amusent de tout, trouvant dans la moindre chose qui les entoure une source de distractions sans cesse renouvelée. Le voyageur allemand Rein, qui les a bien connus, signale leur naïve crédulité, leur goût de la nouveauté, leur penchant pour toutes sortes de petits jeux puérils, l’extrême facilité avec laquelle ils se divertissent : n’est-ce pas autant de traits qu’ils ont en commun avec les enfans ? N’est-ce pas encore à la manière des enfans qu’ils peuvent être loyaux et pleins de malice, insoucians de leur vie, capricieux, avides de la sensation présente, indolens avec de soudains accès de passion ? N’est-ce pas à la manière des enfans qu’ils peuvent être à la fois superstitieux et irréligieux, remplissant scrupuleusement les pratiques extérieures de deux religions, le shintoïsme et le bouddhisme, sans même se demander laquelle est la bonne ?

Et c’est encore à l’éternelle enfance de l’âme japonaise qu’il faut attribuer son amour instinctif pour la nature et pour tout ce qui vit : « Chez les peuples occidentaux, dit le baron de Hubner, le sentiment désintéressé de la nature ne se développe que par

  1. Voyez les études publiées dans la Revue de 1874 à 1878.
  2. Voir à ce sujet l’excellent ouvrage de miss Bird, Unbeaten Tracks in Japan (2 vol., Londres, et le livre français de M. Dubard, le Japon pittoresque.