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modelé nous enchantèrent, comme une protestation contre des règles trop longtemps subies. Mais, avec toute sa richesse et sa variété, l’invention artistique des Japonais nous parut d’un ordre assez bas ; leur dextérité manuelle, après nous avoir émerveillés, nous fatigua par la monotonie de sa perfection ; et nous avions un trop vif besoin des règles qu’ils méconnaissaient pour nous amuser indéfiniment à les voir méconnues. L’art japonais nous laissa l’impression d’un art de bibelot, d’un art anonyme et impersonnel, où il n’y avait différences ni d’époque, ni de talent. Nous en arrivâmes à éprouver pour lui une amitié un peu dédaigneuse. Il fut convenu que le peuple japonais excellait dans la décoration ; mais que le Japon ait eu un développement artistique complet et suivi et qu’il ait, à de certains siècles de l’histoire, produit des œuvres où ne manque à peu près aucun des élémens du grand art, c’est ce qu’auraient admis difficilement ceux-là mêmes qui prenaient le plus de plaisir à meubler leurs appartemens de boîtes de laque, de bronzes, d’étoffes brodées et de netzkés.

Ce n’est pas qu’il ne se soit trouvé d’habiles écrivains pour éclairer et pour rectifier l’opinion du public. Le premier, M. Louis Gonse, dans son Art japonais, marquait la suite des genres et des écoles et parvenait, par une sorte d’intuition, à discerner le degré de mérite, l’âge, et la provenance d’œuvres qui d’abord nous avaient été présentées dans le plus étrange chaos. Peu de temps après lui, un médecin anglais, M. Anderson, reprenait le même sujet, s’appuyant sur des documens recueillis pendant un long séjour au Japon[1]. Des parties spéciales de l’art japonais, la céramique, la fabrication des laques, la ciselure des métaux, donnaient lieu à de savans ouvrages, dont quelques-uns, notamment les livres de M. Morse sur l’ancienne poterie, sont des monumens d’érudition. Aux livres se joignaient des revues ; nous en avons une à Paris, depuis deux ans[2] ; et, tout récemment, un Américain établi au Japon, M. Fenollosa, a fondé une publication périodique japonaise, le Hokkwa, où les amateurs européens pourront tout au moins trouver d’excellentes reproductions des chefs-d’œuvre restés là-bas. Enfin, M. Brinckmann, directeur du musée d’art industriel de Hambourg, vient de faire paraître les deux premiers volumes d’un important ouvrage, Kunst und Handwerk in Japan, où il a résumé tous les renseignemens publiés jusqu’ici sur l’histoire et la technique de l’art japonais.

  1. M. Gonse et M. Anderson ont, l’un et l’autre, corrigé et comploté leurs premiers travaux : M. Gonse dans une édition populaire de son Art japonais, M. Anderson dans son excellent Catalogue raisonné des peintures japonaises du British Museum.
  2. Le Japon artistique, publication mensuelle illustrée, dirigée par M. Bing.