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premiers risques, ou que, s’il s’en rencontre, ils exploiteront « on bons pères de famille, » avec une perspective d’avenir limitée à une ou deux générations. Ces choses ont été dites si souvent, à cette place même, et si bien dites, qu’on est presque confus d’avoir encore à les redire. Une concession de mines à terme mène fatalement le concessionnaire au gaspillage ou à la ruine, suivant ce qu’il a de désinvolture ou de scrupules. Faut-il rappeler le régime de 1791 ? Faut-il insister, après M. Lamé-Fleury et M. Arthur Desjardins[1], sur les dangers de la période finale, pendant laquelle le concessionnaire exagérera l’extraction, ou, chose encore plus grave, négligera les dépenses de gros entretien ? On prétend que le fait s’est déjà produit dans des circonstances analogues. On a parlé de directeurs de sociétés de mines, qui, voyant approcher le terme de leurs fonctions, se seraient abstenus volontairement, pendant les dernières années, d’entretenir convenablement les galeries, d’en faire renouveler les boisages. Les bénéfices obtenus par cette désastreuse économie étaient distribués aux actionnaires, et l’accroissement des dividendes provoquait une hausse momentanée dont le gérant indélicat profitait pour spéculer sur les titres de la compagnie. Vraie ou fausse, l’anecdote prête à réfléchir, et nous la recommandons aux partisans de la clause de retour. Croit-on que, pour un concessionnaire sur ses fins, la tentation serait moins forte, et ne rencontrerait-il pas, avec des facilités plus grandes encore, plus de dispositions à l’indulgence dans le public ou chez les juges mêmes ? C’est alors, pendant toute la durée de l’exploitation, une surveillance étroite de l’État ; à l’approche du terme, un redoublement de tracasseries administratives ; à l’échéance, des comptes à n’en plus finir pour la reprise du matériel et du stock, la perspective d’une liquidation pénible et de procès interminables : tous les plus sûrs moyens d’effaroucher les capitaux.

On objecte que l’adjudication, que la concession temporaire, sont de règle pour les travaux publics, — canaux, chemins de fer, docks, ponts à péage ou formes de radoub. Mais au seul point de vue industriel et laissant, pour le moment, les autres de côté, tout diffère : la nature, les conditions, les risques de l’entreprise. L’ingénieuse combinaison qui assure à l’État la propriété des chemins de fer dans un avenir relativement prochain repose sur un calcul d’amortissement. On évalue, aussi exactement que possible, la durée et la dépense probable des travaux de premier établissement ; on suppute ce que l’entreprise en plein rapport pourra rendre chaque année ; on établit, avec ces données, ce qu’il faudra de temps au concessionnaire pour se rembourser avec bénéfice ; la

  1. Voyez la Revue du 1S avril 1885.