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Van der Neer, Avercamp, Adriaen Van de Velde et bien d’autres encore, faisait l’étonnement des étrangers. Dès 1514, un Milanais, venu dans les Pays-Bas, en était frappé : « Que peut-on voir de plus extraordinaire, disait-il, que toute la contrée des Bataves comme solidifiée par le froid de l’hiver et sur les canaux glacés ces essaims d’hommes, de femmes, d’enfans s’élançant rapides avec leurs chaussures de fer[1] ? » Qui n’a pas assisté aux fêtes des kermesses dans les villages ou dans les villes ne peut comprendre quelle frénésie prend alors à ces flegmatiques, leurs gesticulations, leurs cris sauvages et les sarabandes tumultueuses auxquelles des spectateurs inoffensifs sont forcés, malgré eux, de s’associer quand ils se trouvent sur le passage de ces troupes débridées. D’autres divertissemens populaires n’étaient pas moins désordonnés. Battues également en brèche par les catholiques et par les calvinistes dont le rigorisme s’accommodait mal d’un passe-temps réputé profane et dangereux, les représentations théâtrales ne purent s’établir d’une façon régulière en Hollande à cette époque, et Amsterdam est la seule ville où un théâtre permanent ait subsisté, encore n’y jouait-on que deux fois par semaine ; mais ce ne fut jamais là qu’une distraction peu choisie, réservée à un public de condition plus que médiocre et dont la composition aurait suffi à éloigner la bonne compagnie. Le parterre y offrait le fouillis le plus bizarre d’enfans, d’adultes, d’hommes et de femmes dont la tenue n’avait rien d’exemplaire ; On s’y donnait des rendez-vous, on y buvait, on y fumait, on y criait à qui mieux et les spectateurs échangeaient entre eux les projectiles les plus variés.

La rudesse de ces mœurs n’était que trop explicable au lendemain d’une lutte qui avait si profondément bouleversé le pays. Ce n’est ni dans les camps, ni sur mer, que la génération qui y avait été mêlée aurait pu apprendre la retenue ou les belles manières. Aussi à côté de l’austérité feinte ou réelle des puritains, le dévergondage des soudards et des gens de plaisir s’étalait très librement, et libertins, ivrognes et joueurs n’étaient point rares en ce temps, à en juger du moins par le nombre des tableaux qui nous les montrent. Plusieurs des peintres à qui nous les devons menaient d’ailleurs eux-mêmes une existence assez aventureuse, et si le talent de quelques-uns a fini par s’y pervertir, oh peut s’étonner d’en rencontrer qui, tout en continuant à traiter de pareils sujets, ont su se maintenir et demeurer de vrais artistes. C’est d’après nature et sur le vif qu’ils nous ont représenté les passe-temps plus ou moins distingués, plus ou moins décens de leurs contemporains, depuis les rustiques ébats et les soûleries des paysans dans leurs

  1. Batavia illustrata. 1609, p. 122.