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initiés aux chefs-d’œuvre des écrivains grecs ou latins, des éditions excellentes, soigneusement revues et accompagnées de savans commentaires, les mettent entre leurs mains sous un format commode, imprimées en caractères dont la netteté et l’élégance sont encore aujourd’hui réputées. Il n’est guère de : contrée où les libraires fiassent mieux leurs affaires, car il n’en est pas oui on lise davantage, et Leyde semble une vaste imprimerie à laquelle la dynastie des Elzevier assure une célébrité universelle.

Cette passion de l’antiquité est restée très vive chez les esprits cultivés ; elle constitue entre eux une sorte d’aristocratie intellectuelle. Aussi voyons-nous l’usage d’écrire en latin persister pendant longtemps en Hollande. On continue à y composer des vers latins, ainsi qu’avait fait Jean Second, et les hommes les plus sérieux s’y exercent. Dans leur correspondance ils visent aux grâces cicéroniennes du langage, et avec une ingéniosité un peu subtile ils s’appliquent à exprimer dans cette langue morte des idées ou des façons de vivre tout à fait modernes. C’est pour eux l’occasion de recourir à ces tours de phrase laborieux qui rappellent le jargon de nos précieuses. Mais, si prisés qu’ils soient, ces raffinemens des beaux esprits jurent avec le tempérament vigoureux de la nation. Il y a trop de distance entre ces deux modes de civilisation, les différences y sont trop tranchées, les points de contact trop peu nombreux, pour qu’une assimilation complète de l’antiquité soit possible, et la force même du génie national s’y oppose. Même chez les plus déliés, à ces élégances factices se mêlent bien des traits d’un goût douteux, et dans cet étalage d’érudition et ces réminiscences un peu forcées on sent l’affectation et le pédantisme.

Peu à peu, la littérature suivra le courant général. Poussée par la vitalité puissante qui’ anime ce peuple, elle sortira des abstractions et du convenu pour s’associer à toutes les passions qui le remuent. Avec lui elle s’occupera de religion et de politique ; elle s’intéressera à sa vie nouvelle, à cette grande cause de l’affranchissement pour laquelle il s’est levé tout entier. Les révoltés ont ramassé pour s’en glorifier ce surnom de gueux par lequel leurs dominateurs avaient prétendu les flétrir. Ils l’ont pris pour dense et ils se sont fait des armes parlantes de l’écuelle et de la besace. Ces gueux auront leurs poètes, et c’est au bruit de leurs terribles chansons, grosses de menaces et de cris de vengeance, qu’ils chasseront les oppresseurs. Le théâtre aussi viendra bientôt on aide à l’esprit patriotique et donnera aux aspirations nationales une saisissante expression. Formé sous le patronage des anciennes chambres de rhétorique, il se contentait autrefois de préparer, à l’occasion de visites princières, des représentations destinées surtout à célébrer, à grand renfort d’allégories, les hôtes de marque qui honoraient la