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ministre de la guerre devait éprouver, à la pensée de compromettre le fruit d’une longue opération, à la veille de la voir réussir, et de faire déposer les armes à des troupes victorieuses.

Pour gagner du temps et sortir d’embarras, on aurait voulu décider le comte de Montgardin à entrer en discussion afin de convertir pour le moment, sinon en traité définitif, au moins en préliminaires de paix réguliers l’acte informe du 26 décembre. Le délai nécessaire pour opérer cette transformation aurait été employé à demander et à laisser revenir le consentement de Madrid. Mais Montgardin, alléguant qu’il n’avait d’autre pouvoir que celui de signer un armistice, se refusa absolument, même à engager la conversation sur ce terrain. Le parti fut pris alors dans le petit conseil royal de rédiger soi-même ces préliminaires, en prenant pour base le partage des territoires tel qu’il venait d’être convenu à Turin et de renvoyer Champeaux demander au cabinet piémontais une adhésion à laquelle dans de telles conditions (si son désir de paix était sincère) il ne pourrait guère se refuser. Entre temps, on enverrait à Madrid le même texte, et toutes les signatures nécessaires pour faire un acte parfait pourraient être réunies le même jour. Tout se trouva prêt le 19 janvier pour cette double expédition.

Même réduit à ces proportions, le retard n’était pas sans inconvénient. Pendant ces allées et venues, en effet, la nouvelle du traité signé à Dresde, entre la Prusse et l’Autriche, venait d’éclater et se répandait avec bruit en Europe ; chacun comprenait que Marie-Thérèse, affranchie à ce prix de toute crainte en Allemagne, allait porter tous ses efforts sur l’Italie pour y chercher une revanche des tristes nécessités qu’elle subissait en Bohème. En même temps, le prince Edouard perdait du terrain en Écosse, et les menaces de l’expédition maritime confiée au duc de Richelieu s’évanouissaient en fumée. L’horizon, si sombre naguère, s’éclaircissait ainsi de tous côtés autour de Charles-Emmanuel, qui pouvait se voir secouru à la fois par les armées autrichiennes et par la marine anglaise. Dans ces conditions nouvelles, allait-on le retrouver animé des mêmes sentimens pacifiques ? Serait-il fidèle à la parole donnée, et en hésitant à en prendre acte, le ministre français ne lui offrait-il pas lui-même la facilité de la retirer ? Privé du soulagement immédiat qu’il attendait d’une suspension d’armes, Emmanuel ne préférerait-il pas laisser continuer des hostilités dont il ne pouvait arrêter le cours et attendre le secours effectif qu’on voyait déjà apparaître de l’autre côté des Alpes ? C’est ce que Montgardin fit comprendre à Champeaux au moment de le laisser mettre en route ; n’y aurait-il pas moyen, ajouta-t-il, pour faire prendre le retard en patience, de convenir que pendant la durée de la négociation ainsi malheureusement prolongée, les armées en présence éviteraient