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lesquels la France s’impose de si grands sacrifices et qui sont un des élémens de sa puissance. Les visiteurs français éprouvent un légitime orgueil en constatant l’importance de notre domaine colonial. C’est une visite salutaire et qui dissipera bien des erreurs ; mais ces considérations ne sont pas du ressort de l’hygiène, et je laisse les palais de la façade, pour aller chercher les villages habités par les indigènes de nos colonies, sous l’ombrage des grands ormes qui longent la rue de Constantine. Là, sur une longueur d’environ 500 mètres, se développent dans un désordre qui n’est pas sans grâce, une suite de hameaux dans lesquels se meuvent des populations venues de nos principales possessions de l’Afrique et de l’Indo-Chine. Elles vivent là, sous les yeux des passans, qui peuvent assister aux actes les plus intimes de leur existence.

Derrière le palais de l’Algérie, on voit d’abord les Arabes avec leurs tentes en poils de chameau, leurs chevaux, et leurs familles, puis les cases en torchis et les maisons mauresques. Plus loin sont groupés les principaux types d’habitation en usage dans nos possessions de la côte occidentale d’Afrique : les cases de Guetn’Dar, du Popo, du Fouta-Djallon, les gourbis des Peuls pasteurs, des Toucouleurs musulmans, une tente de Maures-Trarzas, le coumpan des Ouolofs, etc. Cette sorte de ville composée des élémens les plus divers est coupée par des voies de communication qui s’appellent les rues de Bamako, de Rufisque, et flanquée de fortifications qui donnent une idée des résistances que nous avons rencontrées parmi ces populations guerrières.

C’est d’abord la reproduction, aux deux tiers de la grandeur réelle, de la tour de Saldé, blockhaus construit en 1859, sur les bords du Sénégal, pour arrêter les incursions des Toucouleurs ; puis un modèle de fortification indigène, le Tata de Kédongou, sur la rive gauche de la Haute-Gambie, formé par une muraille de 700 mètres de développement, avec 27 tours servant de bastions. On voit aussi, à quelque distance de là, un rudiment de ces palissades dont les indigènes de la Sénégambie entourent leurs villages, et qui ont si souvent infligé des pertes cruelles à nos soldats d’infanterie de marine.

En examinant ces simulacres de fortifications, je songeais aux expéditions si meurtrières du Sénégal et à ces attaques de villages retranchés qui nous ont coûté tant de monde. Jo me reportais notamment à la prise de Djalmatt, au moment où le commandant Protêt arriva devant le fort avec les 800 hommes qui lui restaient sur 1,700 qui étaient partis avec lui de Saint-Louis. Ils s’étaient mis en route avant le jour et étaient parvenus, à travers des fourrés et des chemins impraticables, à franchir les