Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/676

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même et la religion nouvelle que va fonder son mari, la distance est infranchissable. Ce sont les concessions attribuées à Catherine qui font la faiblesse d’un dénoûment si inférieur de toutes façons aux premières parties du livre. Nous n’en sommes pas là, du reste ; il y a encore à lire quelques pages superbes où la fille de Richard Leyburn se montrera digne de lui et d’elle-même, quand par exemple, le lendemain de la confession de Robert, après avoir fui son mari toute la matinée, elle revient se jeter dans ses bras :

— J’étais partie, parce qu’à mon réveil tout m’avait paru trop horrible pour être vrai… Je n’ai pu rester là tranquille à le supporter… Où ai-je été tout le temps ? Je le sais à peine… Mais j’ai pensé à ce que tu m’avais dit hier soir, j’ai rassemblé ces choses, j’ai tâché de comprendre… Grand Dieu ! j’ai pensé à ce que ce serait d’avoir à te cacher mes prières, mon espérance du ciel. J’ai pensé à l’éducation de notre fille ; comment tout ce qui était pour moi d’une importance vitale serait à tes yeux autant de superstitions supportées par indulgence. J’ai pensé à la mort, — et elle frissonna, — et comment ce changement survenu chez toi creuserait entre nous deux un abîme. Et puis j’ai pensé au malheur de perdre moi-même la foi. Un cauchemar enfin… Je me voyais sur une longue route avec ma petite Mary dans mes bras, cherchant à t’échapper. Oh ! Robert, ce n’était pas seulement pour moi ! .. j’étais torturée par la pensée que je ne m’appartenais pas, que moi et mon enfant nous étions au Christ. Pouvais-je exposer ce qui était à lui ? D’autres sont morts, ont tout donné… N’y a-t-il plus personne d’assez fort pour souffrir des tournions en son nom, pour tuer même l’amour en soi plutôt que de renier Jésus, plutôt que de le crucifier de nouveau ?

« Elle s’arrêta palpitante. Les terribles émotions de la veille la ressaisissaient, se communiquant à lui :

— Et puis, acheva-t-elle dans un sanglot, je ne sais comment cela se fit. Au moment même où je songeais sans miséricorde à ce que, pour le moins, je devais faire, même si… si nous restions en semble, à toutes les dures conditions que je devrais t’imposer, te jugeant tout le temps d’une longue distance et croyant sentir que j’avais enseveli l’ancien moi, sacrifié mon ancien cœur pour jamais, au moment même je me suis mise à te rappeler, Robert… La pâleur de ton visage, si las, si tiré, quand je l’avais vu la dernière fois, m’était revenue… Oh ! comme je me haïssais ! Avoir cru que la volonté de Dieu pût me forcer à te quitter, à te torturer, mon pauvre cher mari ! Je n’avais pas seulement été cruelle envers toi, j’avais offensé Dieu. Et je n’entendais plus à mon oreille que la sainte parole : — Mes petits enfans, aimez-vous les uns les autres… Oh ! mon bien-aimé, — et le plus solennel, le plus tendre sourire éclaira