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outre l’hébreu ; puis, pendant trente années, il a étudié la masse des annales existantes, comparant et choisissant. Déjà, il en a fini avec l’antiquité classique : l’Inde, la Perse, l’Egypte et la Judée ; il achève maintenant une histoire du témoignage depuis l’ère chrétienne jusqu’au XVIe siècle. Elsmere a l’imprudence d’amener cette encyclopédie vivante sur un terrain que d’un commun accord ils avaient évité jusque-là, le squire, en homme bien élevé, ménageant son caractère de prêtre, et insensiblement le doute s’ensuit pour lui, bien que dans la discussion contre Wendover il apporte une force qui souvent surprend et intéresse ce dernier.

Quel terrible adversaire que ce vieux squire ! Usé par la maladie et par l’excès du travail, il n’est plus qu’un cerveau, pour ainsi dire ; mais ce cerveau loge des connaissances universelles. Roger Wendover a commencé par le Tractarianisme à Oxford, du temps de Newman, puis il a passé d’une extrémité à l’autre, il est entré dans la plus violente réaction et, délivré de ce qui lui semblait un esclavage, il a émigré à Berlin en quête du savoir qu’il ne pouvait acquérir dans son pays, où il est revenu, après s’être pénétré du ferment spéculatif de l’Allemagne et du scepticisme français, pour porter des coups terribles à l’orthodoxie anglaise. Tandis que l’audace de sa méthode scandalisait le public religieux, le prestige de son style caustique lui assurait des lecteurs dans tous les camps ; la tempête de controverse soulevée contre lui ne faisait qu’exciter la curiosité générale, et il était reconnu depuis longtemps que la publication de son premier livre avait marqué une époque. On devine sans peine combien la pensée des rapports presque quotidiens de son mari avec un esprit de cette trempe afflige une croyante telle que Catherine ; elle n’en montre rien cependant, comprenant qu’Elsmere ait besoin de quelque compagnie intellectuelle, et persuadée d’ailleurs qu’il est solidement armé contre toute influence mauvaise. Elle ne donne que bien tardivement son sens véritable à la tristesse qui augmente chez le recteur ; elle ne voit pas s’écrouler une à une les barrières de sable qu’avec une puérilité enfantine il oppose à l’action de la mer qui monte de plus en plus, engloutissant toutes ses anciennes convictions. Ce n’est pas la moindre des souffrances de Robert que d’avoir à cacher à sa femme la révolution qui s’accomplit en lui : d’abord, aux momens difficiles, il a plié les genoux devant le divin maître de Catherine en disant avec humilité : « Fixe ici ta demeure, à mon âme ! » Mais bientôt il n’en est plus là ; les pensées d’autrefois s’évanouissent en lui, remplacées par l’image d’un Christ purement humain, par l’idée d’un christianisme explicable et cependant toujours merveilleux.

Son cœur se brise en songeant que Catherine ne voudra, ne