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Octave Feuillet accusé d’avoir distribué inégalement les armes, d’en avoir fourni de trop faibles à son athée, George Sand mise en demeure d’expliquer pourquoi une grande croyance, avec le consentement de dix-huit siècles derrière elle, ne trouve pas des argumens plus solides pour répondre à ceux de la philosophie ! Ne serait-ce pas le comble du pédantisme ?

M. Gladstone a pourtant procédé ainsi envers Mrs Ward. Il lui a reproché de n’avoir pas permis à la doctrine chrétienne de se défendre en opposant la parole de ses apologistes aux attaques de leurs adversaires, il lui a démontré qu’elle ne pouvait que par une insoutenable utopie expulser les élémens surnaturels du christianisme et en détruire la structure dogmatique sans compromettre du même coup ses résultats moraux et spirituels ; il est remonté au commencement de notre religion en vue de défendre la possibilité des miracles, il a conclu, très éloquemment d’ailleurs, qu’il y avait folie à supprimer l’autorité des Écritures, celle du clergé, les sacremens, tous les rouages de la machine existante, tout ce que cinquante générations successives ont considéré comme les ailes de l’âme, et à vouloir ensuite que, privée de ces ailes, l’âme pût voler aussi haut que jamais.

En citant M. Gladstone, nous donnons l’antidote avant le prétendu poison. Certes, si Robert Elsmere avait été aussi solidement appuyé au rocher de la foi que l’éminent homme d’état qui juge et condamne son apostasie, il ne se serait pas laissé influencer par un certain squire qui apparaît à ses côtés comme l’incarnation même de la science implacable, sapant au nom de la vérité, sans hésitation et sans remords, les éternels points d’appui du genre humain. Nous renverrons au beau morceau de critique du Nineteenth century ceux qu’auront émus les conclusions radicales de ce disciple de Mommsen, pour que l’investigation historique guérisse les blessures qu’elle leur a faites. Mais la plupart des lecteurs de Mrs Ward estimeront sans doute avec nous que, la vocation d’Elsmere n’ayant jamais mérité d’être prise au sérieux, le funeste squire a trouvé tout préparé à recevoir de nouvelles impressions cet être malléable et versatile, que par conséquent il n’y a pas lieu d’insister sur les imprudences d’un tel prêtre et sur sa trop facile défaite. Ce qui nous importe, c’est beaucoup moins la résolution téméraire qui le sépare de l’église, que l’effet de cette résolution sur un autre cœur resté fidèle, parce que dans cet effet réside la vraie valeur du livre, sa grande signification, celle du moins qui éveille en nous des sympathies profondes. Mrs Ward touche là au drame secret qui se joue dans tant de ménages, la désunion plus ou moins accusée de l’homme et de la femme sur le terrain religieux, l’impossibilité de l’accord absolu entre des époux qui, n’ayant pas devoir du roman