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géans ; la Hollande ses fromages et ses liqueurs ; l’Amérique ses lards salés, ses conserves on boîtes, ses viandes comprimées, assaisonnées et prêtes à servir ; la France, les productions naturelles de son sol fertile et celles de ses usines alimentaires. Au milieu de celles-ci se dresse l’énorme bloc de chocolat Ménier, qui mesure 7 mètres de hauteur, pèse 50 tonnes, contient 250,000 tablettes et représente une valeur de 200,000 francs.

Pour énumérer toutes les richesses gastronomiques amoncelées sur le quai d’Orsay, il faudrait me livrer à un inventaire semblable à celui des magasins d’Amilcar dans Salammbô. L’hygiène, du reste, se désintéresse de tous ces produits, qu’il lui est impossible de contrôler, sur la valeur nutritive et la pureté desquels elle ne peut avoir aucune donnée. Dans le nombre, il y en a deux cependant qui appellent son attention par l’importance des questions qu’ils soulèvent. Ce sont les céréales et les boissons alcooliques.

Les pavillons de l’alimentation renferment des orges, des avoines, des blés venus de tous les points du monde et expédiés par des contrées lointaines qui n’avaient pas encore, il y a dix ans, l’habitude d’envoyer leurs produits sur les marchés de l’Europe. Grâce à la facilité des communications et au bas prix des transports, le niveau s’est établi partout. Les grains se rendent d’eux-mêmes des lieux où ils sont en excès, dans ceux où ils font défaut. Les négocians de New-York, par exemple, reçoivent, par le télégraphe, les prix de la veille sur les marchés de Liverpool, d’Anvers, de Marseille, du Havre et dirigent leurs chargemens sur le port le plus avantageux. Il suffit d’une différence de 0 fr. 50 par hectolitre pour dicter leur choix.

En présence de cette circulation abondante et facile, l’hygiéniste ne peut pas oublier qu’il y a un siècle, à la date dont nous venons de célébrer le centenaire, les barrières qui séparaient les provinces n’étaient pas encore tombées. Chacune d’elles devait vivre de ses produits. Dans l’une on manquait de pain, dans l’autre on ne savait que faire de sa récolte, et le transport des céréales était interdit. Eût-il été autorisé, que le mauvais état des routes n’eût pas permis d’en profiter. « Pendant tout le XVIIIe siècle, dit Maxime Du Camp, l’histoire de l’alimentation du peuple se résume dans une série de disettes. Notre pays a souffert de la faim jusqu’au commencement du XIXe siècle. »

La suppression des barrières d’une part, l’amélioration des grandes routes et la création des voies fluviales de l’autre, vinrent successivement faciliter les échanges, et diminuer la fréquence des disettes. La dernière dont la France ait gardé le souvenir est celle