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qui signifiait lui-même « une bouchée, un morceau. » Le français sceau s’est enrichi, au XVIe siècle, d’un c, qui a l’intention de rappeler vaguement le latin sigillum : mais on écrivait au moyen âge seel, et la lettre ainsi insérée doit être regardée comme de pure contrebande. Quelquefois la graphie officielle est un véritable non-sens : comment peut-on écrire au masculin absous, dissous, quand le féminin est absoute, dissoute ? l’étymologie, non moins que la régularité de la langue moderne, exigerait un t.

Disons tout de suite qu’il faut expulser à tout prix les lettres qui doivent leur présence à une erreur d’état civil. Autrement, on se servirait sans relâche de ces confusions, d’ailleurs peu nombreuses, comme argument contre tout l’ensemble de l’orthographe. Quelques fausses lettres étymologiques suffiraient pour jeter le discrédit sur toutes les autres. Nos pères n’ont pas été moins résolus : mieux instruits, ils n’ont point hésité à écrire savant au lieu de sçavant, qu’on avait fait venir de scire, ou arrêt au lieu de arêt, quoique les parlementaires fussent flattés de l’origine grecque qu’on supposait à ce terme de procédure[1].

Ce sont là quelques spécimens des reproches qu’on peut adresser à notre orthographe : reproches fondés, il faut l’avouer, et dont plusieurs pourraient être évités sans grand’peine. Ceux qui élèvent ces objections ne demandent aucun remaniement de fond : quelques retouches sagement entendues les contenteraient. Ce ne sont point des hommes à système : ils voudraient que l’état de choses actuel présentât plus d’harmonie, ils en désirent donc implicitement le maintien. Nous reparlerons plus loin de ce qui pourrait être fait pour les contenter.


II

Après ces premiers critiques, dont les observations portent sur tel et tel mot, sur telle et telle règle, nous allons en trouver d’autres qui étendent leur regard plus loin et qui voudraient réformer l’instrument lui-même, c’est-à-dire l’alphabet et le système d’écriture. C’est pour cette catégorie que nous réservons le nom de néographes, dénomination qu’on a quelquefois employée d’une façon un peu vague et un peu au hasard. Je m’empresse de dire que cette épithète ne doit éveiller a priori dans l’esprit du lecteur aucune idée défavorable. La néographie a d’illustres ancêtres : nous lui devons l’alphabet dont nous nous servons. Les plus hardis de tous les néographes ont été les Grecs, quand, par une sorte de coup

  1. « Que dirons-nous d’arrest du parlement ? Vient-il du grec ἀρεστόν, où il n’y a qu’une r, et qui revient si bien à placitum ? » (Bossuet.) — En réalité, arrêt est un nom verbal tiré de arrêter.