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croyance que les démons combattent partout et toujours ? Gengis-Khan accomplit les volontés divines, et s’en trouva bien. Aussi, lorsqu’il eut réuni tous les Tartares en un même corps de nation, son premier soin fut-il de promulguer un code dont le statut initial leur prescrivait « de croire et d’obéir au Dieu immortel qui est tout-puissant et les délivrerait de l’esclavage, et d’invoquer son secours dans tous les momens de nécessité. » Puisque son pouvoir avait eu pour point de départ l’ordre même de Dieu, il voulut qu’il fût fait à son image, et puisqu’il n’y a qu’un Dieu dans le ciel, il voulut qu’il n’y eût qu’un roi sur la terre. C’est ce que disent en termes exprès ses lettres et ses sceaux : « Le khan, fils du Dieu très haut, empereur de tous ceux qui vivent sur la terre, seigneur de tous les seigneurs. » Et encore : « Dieu dans le ciel, le khan sur la terre. » Aussi nombre de ces princes ont-ils été chrétiens, et ce n’est qu’assez récemment qu’ils sont revenus à leurs anciens erremens ; mais, bien qu’ils aient cessé d’être chrétiens, ils n’en honorent pas moins ceux qui le sont. « Il a dans sa cour nombre de barons et de serviteurs qui sont chrétiens, ayant été convertis à la bonne foi par des religieux chrétiens qui habitent avec lui, et il y en a nombre d’autres qui ne veulent pas qu’on sache qu’ils sont chrétiens. » Et plus loin, après avoir décrit les processions et cérémonies dont les moines nestoriens, ou d’autres dénominations, honorent l’entrée du souverain dans telle ou telle de ses villes : « C’est grand dommage qu’il ne croie pas fidèlement en Dieu. Néanmoins il écoute parler de Dieu avec bonheur, et il permet libéralement aux chrétiens de vivre sous sa seigneurie, et aussi aux hommes de sa religion de devenir chrétiens, s’ils le veulent, dans toutes les parties de son empire, car il n’interdit à personne de professer telle foi qui lui convient. » Tout ce que nous dit Maundeville du grand khan et de ses Tartares se tient, en somme, très près de ce que la véridique histoire nous rapporte de ce pur déisme, qu’elle nous représente comme propre à tous les grands conquérans mongoliques, et particulièrement à Gengis-Khan, et de cette effrayante tyrannie qui s’accordait avec une tolérance religieuse si large, comme pour dire que les corps étaient la part du souverain, et les âmes la part de Dieu[1].

Ne remarquez-vous pas cependant comme, pas à pas, insensiblement, cette Jérusalem, objet premier du voyageur, s’est éloignée et effacée des préoccupations de son intelligence ? Assurément nous sommes toujours sur le terrain du christianisme ; car, qu’est-ce

  1. Consulter à ce sujet les admirables chapitres de Gibbon sur les conquérans mongols.