Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

émerveillé de la Corne d’or comme de l’Acropole. Il a appelé lui-même son voyage un rêve !

Quant aux résultats réels, pratiques, de cette visite à Athènes et à Constantinople, c’est une autre question, il faut attendre. Il est provisoirement douteux que Guillaume II ait changé au passage l’état des affaires helléniques, qu’il ait pu promettre aux Grecs une protection qui les dispense de la sagesse dans leur politique, et il est encore plus douteux qu’il ait réussi à entraîner le sultan dans une alliance continentale, si tant est que ce fût l’objet de son voyage. Les Turcs, avec cette sagacité de diplomatie qui est chez eux une tradition et une force, savent bien que, dans toutes ces alliances où l’on pourrait chercher à les attirer, ils auraient un rôle effacé, sacrifié, qu’ils ne seraient qu’un appoint dans des combinaisons où l’empire ottoman ne trouverait ni avantages, ni garanties pour sa sécurité, pour ce qui lui reste d’intégrité. On n’a pas besoin de connaître les secrets des chancelleries, c’est la nécessité qui fait la sagesse du divan. Et voilà pourquoi il est infiniment probable que les conversations intimes de Guillaume II avec Abdul-Hamid aussi bien que les conférences du comte Herbert de Bismarck avec le grand-vizir n’ont produit rien de précis, de positif. Il n’a pu, il n’a dû y avoir que des témoignages de courtoisie et de bonne volonté, accompagnés de présens dignes de la magnificence d’un sultan à l’égard d’un souverain européen, — mais peut-être un peu lourds pour les finances turques.

Aujourd’hui, l’empereur Guillaume est sorti de son « rêve » oriental, il rentre dans les brouillards de l’occident. Il va, il est vrai, faire une halte en Italie. Il trouvera, à Venise des ovations, à Monza des chasses préparées, il y a un mois déjà, pour lui faire fête et ajournées par suite de la mort du roi de Portugal. A Monza d’ailleurs, l’empereur Guillaume peut se croire un peu chez lui. Puis, avant de regagner Berlin, il doit encore, à ce qu’il parait, rencontrer à Inspruck l’empereur François-Joseph. Pendant ce temps le chancelier d’Autriche, le comte Kalnoky, a fait son pèlerinage à Friedrichsruhe. Or de tous ces déplacemens et de ces rencontres qui se suivent et coïncident, de tout ce mouvement qui semble n’avoir jamais été plus actif que depuis le passage du tsar à Berlin, que peut-il sortir ? On ne le voit pas bien ; on distingue tout au plus un travail qui recommence et se déplace sans cesse, une agitation perpétuelle, qui, sans avoir de grands résultats, peut n’être pas sans inconvéniens. Certainement les chefs des grands états, souverains et ministres, ont le droit et même le devoir de suivre avec vigilance la marche des affaires, de se concerter, de se prémunir contre le hasard des événemens ou des incidens, d’où dépend quelquefois la paix du monde ; ils ont le droit de se promener, de se rencontrer, de se visiter. Qu’on réfléchisse un instant toutefois, qu’on remarque bien que le plus